Matthieu 13 : 24-30 – 19 juillet 2020

J’ai passé une partie de ma formation de pasteur en centre de détention… comme aumônier.  Ne lancez pas de rumeur s’il vous plaît.  Ce fut une expérience très enrichissante pour moi.  J’ai d’abord découvert que l’aumônerie n’est pas mon truc.  Ce stage m’a aussi bousculé sur le plan théologique.  À cette époque, j’étais un peu le cliché de l’étudiant en théologie qui aimait répéter abondamment que l’être humain a été créé à l’image de Dieu, que l’on devait toujours pardonner et tous et toutes étaient aimés inconditionnellement par Dieu.  Pendant quelques mois, j’ai dû travailler avec des hommes enfermés dans l’aile à sécurité maximale qui étaient en attente pour leur procès pour des crimes sexuels et des actes le plus répréhensibles que je puisse imaginer.  Toutes mes belles certitudes ont été mises à rude épreuve, et honnêtement près de 20 ans plus tard, je ne sais pas toujours pas quoi penser de tout ça.  Je ne sais pas encore comment réconcilier mes beaux principes et ce que j’ai vécu.  

Je crois que les humains ont tendance à concevoir le monde sous une forme binaire.  C’est vrai ou faux.  Une personne est gentille ou méchante.  Un comportement est convenable ou non.  Nous aimons cataloguer les individus dans une case précise très rapidement, quitte à les faire passer d’un pôle à l’autre si la situation l’exige.  Nous ne sommes pas vraiment intéressés aux longues explications ou aux nuances de gris.  On veut juste départager rapidement les victimes des coupables. 

Le texte de ce soir nous présente une autre parabole de Jésus au sujet du royaume de Dieu.  Encore une fois, il utilise une histoire agraire apparemment simple, mais quand même confrontant.  Un homme avait semé du blé dans son champ, mais un ennemi vient une nuit pour l’infester de mauvaises herbes.  Après quelque temps, les serviteurs affolés demandent à l’homme de leur donner la permission d’arracher toute cette mauvaise herbe immédiatement.  Mais l’homme refuse parce qu’ils pourraient également arracher le bon blé par mégarde.  Il leur demande d’être patient et laisser le tout pousser côte à côte.  Le tri ne se fera qu’au moment de la récolte.

Si l’auteur de cet évangile offre une explication quelques verstes plus loin, il ou elle ne parle pas vraiment de l’empressement des serviteurs à vouloir désherber le champ ou de leur profonde conviction de connaître la valeur de chaque plant.  Au fond, ces personnages sont comme beaucoup d’entre nous qui avons une définition bien personnelle de ce qui est acceptable ou non et qui sommes souvent tentés de l’appliquer pour l’ensemble d’un groupe.

Malheureusement, ce genre de désherbage a été et est toujours très présent dans nos Églises.  Je crois que nous voulons tous et toutes être inclusifs… mais en même temps nous volons qu’il y a des limites.  On ne veut pas admettre n’importe qui.  On établit des paramètres pour identifier qui prient de la bonne manière ou mérite l’amour de Dieu.  Et naturellement, dans cet affrontement entre « nous autres » et « eux autres », nous sommes bien sûr les bons et justes et les autres sont déclarés mauvais ou méchants, malgré le fait qu’ils peuvent être de très bonnes personnes.  Même si les Évangiles nous montrent que Jésus était contesté parce qu’il fréquentait les mauvaises personnes, les exclus, les rejetés et les marginaux de sa société, en tant que bons chrétiens nous avons la ferme conviction que l’on sait exactement quoi faire.  Nous savons discerner le bon blé des mauvaises herbes.  Nous savons qui est bons ou méchants.  Alors pourquoi devons-nous attendre?  Pourquoi ne devons-nous pas agit maintenant? 

L’un des buts de cette parabole est peut-être de nous rappeler que notre mandat n’est pas de juger la nature des gens qui nous entoure.  Oui, le Mal (ou tout autre nom que l’on veut utiliser) existe dans notre monde.  Les choses inacceptables doivent être punies et les personnes doivent faire face aux conséquences de leurs actes lorsqu’il y a un crime.  Cependant, nous sommes appelées à développer une certaine forme d’humilité nous permettant de comprendre que nous ne sommes pas ceux et celles responsables d’admettre ou d’exclure les personnes de l’Églises ni de décider du salut de l’âme des individus qui nous entourent.  Ce lourd et difficile travail revient ultimement à Dieu. 

Cela ne veut pas dire que l’on doit rester les bras croisés sans rien faire dans une indifférence totale.  Notre mission demeure toujours d’accueillir notre prochain sans le juger, d’offrir de la compassion, de proclamer un message d’espoir, de résister au Mal, de dénoncer les systèmes d’exploitation, de défendre les opprimés, de travailler avec les marginalisés, et d’être une présence positive dans notre monde.  Notre appel est de redoubler d’efforts pour que ce qui est essentiellement bon dans notre monde complexe reçoive un peu plus d’attention et un peu plus de soins que les mauvaises herbes qui nous entourent constamment.  

Encore une fois, cette parabole de Jésus nous confronte en illustrant parfaitement la préoccupation des êtres humains à savoir qui sont les bons et qui sont les méchants.  Elle met en lumière la tension entre notre impulsion de purger notre société du Mal et de ses imperfections, et de notre appel à accepter, pardonner et restaurer.  Elle nous rappelle notre difficulté à faire confiance en un Dieu qui est plus grand et plus complexe que tout peut concevoir avec nos cerveaux humains.  C’est peut-être pourquoi Jésus a tenu à nous enseigner que malgré notre empressement parfois la patience et la retenue sont la voie à suivre… même si c’est souvent difficile.  Amen.

* Krisztian Matyas, Unsplach.com