Sermon – Jean 20: 19-30 (24 avril 2022)
Il y a quelques jours, j’ai relu l’une de mes fables préférées de Jean de La Fontaine : Les Animaux malades de la peste. Pour ceux et celles qui ne connaîtraient pas cette histoire, une pandémie de peste s’abat sur tous les animaux et ceux-ci décident de rechercher le responsable pour cette malédiction. Ils voulaient savoir qui avaient commis une faute impardonnable. Le lion prend la parole en premier et affirme avoir mangé beaucoup de moutons et parfois même le berger qui ne lui avait rien fait. Les autres animaux s’empressent d’affirmer que le lion n’avait pas commis d’offense sérieuse. À tour de rôle, les autres bêtes clament leur innocence. Un pauvre âne avoue candidement avoir une fois mangé une bouchée d’herbe d’un pré avoisinant et immédiatement il est condamné à mort pour cet affront horrible. J’adore la dernière phrase de la fable : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » Encore aujourd’hui, notre statut social, nos origines ou notre condition influencent la perception des autres à notre sujet.
J’ai relu cette fable à la lumière du passage d’aujourd’hui tiré de l’évangile selon Jean. Ce texte est connu dans la culture populaire parce qu’il présente Thomas, l’incarnation de celui qui doute. Quelque temps après sa résurrection, le Christ apparaît à ses disciples. Malheureusement, Thomas était absent. Plus tard, lorsque les disciples tout excités lui dirent qu’ils ont vu le Seigneur, il demande de voir les marques de la crucifixion avant de les croire. Une semaine plus tard, le Christ réapparaît cette fois-ci en présence de Thomas. Il l’invite à observer ses plaies. À ce moment, Thomas déclare : « Mon Seigneur et mon Dieu! » Jésus conclut en affirmant : « Heureux sont ceux et celles qui croient sans m’avoir vu! »
Depuis des siècles, Thomas se fait critiquer pour ses doutes et sa volonté de voir pour croire. Mais honnêtement, si ma meilleure amie était venue me voir avec une histoire de ce genre, j’aurais réagi exactement comme lui. Je suis très mal placé pour critiquer Thomas. Lorsqu’on y pense, tout ce qu’il désirait est de vivre la même expérience que les autres disciples; il voulait aussi rencontrer le Christ ressuscité. En si attardant un peu plus, nous réalisons que la réaction initiale de Thomas n’est pas si différente de celle des disciples. Comme nous l’avons vu la semaine dernière, ils n’ont pas cru le témoignage de femmes revenues du tombeau vide de Jésus le premier matin de Pâques. C’étaient des ‘histoires de bonnes femmes’ sans crédibilité. Mais lorsque ce sont les disciples, des hommes, qui font la même affirmation, ce n’est plus pareil. Il faut les croire immédiatement sans poser de question. Tout doute devient un grave manque de foi.
Deux mille ans plus tard, nous devons nous demander qui sont ces personnes qui ne sont pas écoutées lorsqu’elles disent la vérité. Qu’est-ce que nous jugeons crédible dans notre société? Sur quoi se base-t-on pour décider? Pourquoi doute-t-on de la parole des uns, mais pas des autres?
Dans les milieux d’Église, nous savons tous et toutes que certaines voix sont plus importantes et écoutées que d’autres. Les personnes qui tiennent un discours discordant ou qui expriment des doutes ne sont pas toujours appréciées. Les voix qui posent des questions et remettent en doute les affirmations du passé sont souvent considérées comme des problèmes. Trop souvent, la foi est associée au respect de l’institution et de l’orthodoxie. Une sorte de test de pureté est demandé aux croyants. Au cours des siècles, la confusion initiale des premiers disciples a été remplacée par un devoir de conviction profonde et presque aveugle. C’est un peu comme aller chez un concessionnaire automobile et transiger avec un vendeur qui veut vous obliger d’acheter une voiture sans la possibilité de l’essayer ou de regarder sous le capot. Quelle personne saine d’esprit accepterait une telle proposition? Accepter le message de l’Église sans aucune preuve concrète et tangible est devenu la meilleure façon de croire.
Pourtant, lorsque nous regardons attentivement le texte d’aujourd’hui, Jésus ne critique pas Thomas pour ses doutes et questions. C’est nous qui y insérons un jugement moral et un ton accusateur. Ce passage ne fait qu’affirmer que certains ont besoin d’une expérience tactile ou visuelle, tandis que d’autres répondent davantage à une proclamation ou à la lecture d’un texte. Chacun et chacune vit ses expériences de foi de manière différente et aucune n’est nécessairement meilleure qu’une autre. En tant que disciples de Jésus, nous sommes appelés à célébrer cette différence au lieu d’y voir un problème. Les questions des uns contribuent à approfondir la spiritualité des autres. Les doutes de certains ont contribué à éviter de graves erreurs. La volonté de remettre en question un certain statu quo a souvent permis l’émergence de nouvelle manière d’être l’Église de Dieu sur Terre. Bref, sans tous les Thomas dans nos Églises aujourd’hui, notre connaissance du Christ ressuscité serait beaucoup moins riche et vibrante. La difficulté de croire en la bonne nouvelle de la résurrection est au centre de la chrétienté depuis ses débuts. Thomas ne devrait pas être critiqué pour ses doutes et ses questions parce qu’il a exprimé à voix haute ce que plusieurs d’entre nous à déjà pensé tout bas. La foi n’est pas une question d’obéissance aveugle. Les voix plus marginales ne doivent pas être réduites au silence. L’expérience du Christ ressuscité se vit de plusieurs manières. Amen.