Sermon-Genèse 2 : 15-17; 3 : 1-7 (26 février 2023)

Genèse 2 : 15-17; 3 : 1-7

Le premier dimanche du carême est traditionnellement associé à l’idée de tentation.  La lecture de l’Évangile porte toujours sur les quarante jours que Jésus a passés dans le désert.  Le texte du Premier Testament de cette année est tiré du deuxième récit de création dans le livre de la Genèse.  Les interprétations traditionnelles de cette histoire se concentrent surtout sur le péché originel, la chute de l’humanité ou l’expulsion du paradis terrestre.  Au centre de ce récit, nous retrouvons Ève, Ève-la-pas-fine, celle qui n’a pas pu résister aux belles paroles du serpent, celle qui a désobéi à Dieu, celle qui a entraîné Adam dans sa chute, celle qui est à l’origine de tous nos problèmes et nos difficultés terrestres. En ce début de carême, ce passage est souvent utilisé pour nous rappeler que nous devons résister à toutes formes de tentations qui peuvent nous mener à notre perte.

Cependant, comme vous vous en doutez sûrement, cette histoire est beaucoup plus complexe lorsque nous prenons le temps de la lire et l’analyser.  D’abord, nous avons un Dieu tout-puissant qui crée un superbe jardin pour y installer un homme et une femme, Adam et Ève, afin de cultiver le sol et le garder.  Le paradis terrestre n’était pas un resort tout inclus; ils devaient travailler.  Cependant, ils peuvent manger tout ce qu’ils désirent… sauf le fruit de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais.  À ce moment, tout parent ou toutes personnes qui se sont occupées d’enfants savent exactement ce qui va arriver.  Parce que c’est interdit, ils vont y toucher.  Ils vont en manger.  C’est évident!  Alors, nous pouvons nous demander pourquoi Dieu a planté cet arbre au milieu du paradis terrestre. S’il était si dangereux, pourquoi ne pas le rendre inaccessible avec une clôture et des panneaux d’avertissement ? Pourquoi Dieu a créé les conditions menant à une catastrophe?

Ensuite, nous avons le serpent, la plus astucieuse de toutes les bêtes des champs.  Plusieurs associent cet animal à Satan, même s’il n’y a aucune référence dans ce sens dans le texte.  Ce lien se serait plutôt développé au 2e siècle après Jésus-Christ.  Ici, nous avons tout simplement affaire à un animal qui parle, un peu comme dans les fables de La Fontaine.  Le serpent est accusé de manipuler Ève en semant le doute dans son esprit.  Il affirme qu’elle ne mourra pas si elle mange du fruit défendu, comme l’a affirmé Dieu.  Ses yeux s’ouvriront et elle sera comme des dieux possédant la connaissance de ce qui est bon ou mauvais.  Alors, Ève prit un fruit et elle le mangea.  Elle en donna aussi à son mari.  Et surprise, surprise!  Tout le monde demeure en vie.  Le serpent, souvent qualifié de menteur, disait la vérité.  Est-ce que Dieu aurait menti à Adam et Ève?

Et finalement, nous avons Ève et son mari Adam.  Contrairement à l’image de la nunuche trop souvent véhiculée à son sujet, Ève apparaît être une femme intelligente et curieuse.  Elle n’accepte pas docilement tous les principes, les règles et les commandements qu’elle a reçus.  Un peu comme une adolescente, elle désire développer son propre système de valeurs.  Elle veut en faire des expériences par elle-même.  Elle veut satisfaire sa soif de connaissance.  Alors, elle ose transgresser les règles établies pour découvrir et acquérir une meilleure connaissance du monde.

Plus je lis cette histoire, plus que je crois que nous avons devant nous une histoire de passage à l’âge adulte, ce que nos amis anglophones appellent « a coming-of-age story ».  Ève peut être comparée à un enfant qui habite la belle résidence luxueuse de ses parents.  Elle peut demeurer dans le confort du cocon familial pour toujours.  Elle peut choisir la simplicité.  Mais il arrive inévitablement un moment où cette vie n’est plus satisfaisante.  Comme tous les jeunes adultes, Ève veut voler de ses propres ailes.  Elle veut avoir la possibilité de faire ses choix… avec tout ce qui vient avec.  Elle veut grandir et oser s’aventurer dans l’inconnu.  Elle veut découvrir la différence entre le bien et le mal.  Heureusement pour Eve et Adam, Dieu semble croire au principe du libre choix.  Bien sûr, comme tout parent, Dieu aimerait peut-être que ses enfants restent à la maison le plus longtemps possible.  Peut-être, Dieu a exagéré un peu le danger de l’arbre de la connaissance pour les protéger et retarder le moment fatidique.  Cependant, Dieu ne limite pas les actions d’Ève et Adam.  Le choix demeure entre leurs mains.  Ces derniers décident de franchir cette étape importante afin de grandir et tenter de voir le monde comme Dieu le voit.

En ce début de carême, un choix se présente devant nous.  Nous pouvons demeurer dans le confort de notre foi et de notre spiritualité.  Nous pouvons continuer les mêmes pratiques et suivre les mêmes règles qu’on nous a enseignées durant notre jeunesse.  Nous pouvons croire qu’il y a une seule façon acceptable de vivre ce temps de l’année.  L’autre option est d’oser quelque chose de différent.  Nous pouvons nous aventurer hors des sentiers battus.  Nous pouvons nous questionner afin de repenser notre foi et notre spiritualité.  Nous pouvons décider par nous-mêmes ce qui est bon ou mauvais pour atteindre nos objectifs.  Nous pouvons essayer de grandir.  Bien sûr, le deuxième choix est toujours plus difficile.  Il est jonché d’erreurs, de moments de découragement et de pas en arrière.  La maturité demande beaucoup de temps et d’efforts.  Apprendre à discerner le bien et le mal dans notre monde complexe n’est pas facile.  Cependant, nous sommes invités à prendre nos distances de toutes les figures d’autorité qui tentent de réglementer nos vies afin d’atteindre notre plein potentiel.  Nous sommes appelés à discerner les raisons et les motivations derrière nos choix.  Nous recevons la chance d’entreprendre un cheminement qui a le pouvoir de nous transformer.

Doit-on condamner Ève pour avoir goûté au fruit de l’arbre défendu? Comme tous les humains, Eve voulait simplement apprendre à choisir par elle-même et découvrir la différence entre le bien et le mal.  En ce temps de carême, nous sommes aussi appelés à grandir dans notre foi afin de développer une foi plus mature.  Amen.

* Matt Seymour unsplash.com