Avez-vous peur du chaos? (sermon)

Genèse 1 : 1; 2 : 4

Toutes les grandes civilisations ont leur mythe de création qui tente d’expliquer et de comprendre le monde qui les entoure.  Les anciens Hébreux ne sont pas différents des autres.  La bible débute par un récit expliquant comment Dieu a formé notre monde en seulement 6 jours grâce à la puissance de sa voix.  Personnellement, je ne suis pas de ceux qui interprètent littéralement ce texte.  Cependant, cette histoire nous enseigne une chose ou deux sur Dieu et les êtres humains.

La majorité d’entre nous connaît la trame narrative du premier chapitre du livre de la Genèse.  Chaque jour, Dieu dit quelque chose, cela se produit et Dieu déclare que c’est bon.  Parce que la structure du texte est un peu répétitive, souvent nous succombons à la tentation de sauter immédiatement aux versets où les êtres humains apparaissent.  Ce soir, je veux vous inviter à demeurer avec les premiers versets de ce texte, plus précisément ses premiers mots qui sont interprétés différemment selon notre conception de la nature de Dieu.  Le livre de la Genèse débute par : bereshit bara Elohim et hachamayim ha’arets ve’et (l’utilité d’apprendre l’hébreu au collège théologique est de pouvoir impressionner les gens de temps en temps). Ces mots sont traditionnellement traduits par : « Au commencement Dieu créa les cieux et la terre. »  Cependant, pour des raisons de grammaire vraiment compliquées dont je vous ferai grâce aujourd’hui, nous pouvons également avoir les mots utilisés ce soir : « Commencement de la création par Dieu du ciel et de la terre. »   Quelle est la différence?  Est-ce que Dieu a créé à partir de rien, ex nihilo comme le dit l’expression, ou est-ce que la terre existait déjà avant que Dieu débute son action créatrice?  Je préfère la deuxième option parce que le deuxième verset parle d’un monde déjà existant.  Cette terre est dans un état de formation, enfoncée dans les ténèbres et son océan primitif est recouvert du souffle de Dieu.  Ce monde inhabité et inhospitalier est dans un état de chaos.  D’ailleurs, le mot en hébreu utilisé dans le texte pour décrire cette situation « tohu va vohu », qui a été conservé dans la langue française : tohubohu.

À un certain moment, Dieu choisit d’intervenir.  J’utilise le verbe choisir, car je ne crois pas que Dieu était obligé d’agir.  Dieu décide de s’investir dans le processus créatif de ce monde en devenir.  De manière intéressante, les premières actions de Dieu dans notre passage ne sont pas de créer des choses, mais plutôt de les organiser.  Dieu divise la lumière des ténèbres.  Dieu sépare le firmament de la terre.  Dieu différencie les continents des mers.  Dieu fait un soleil pour délimiter le jour et la lune pour identifier la nuit.  Essentiellement, les premières actions créatrices de Dieu visent à organiser le chaos.

Je crois que la majorité d’entre nous n’aimons pas beaucoup le chaos. Habituellement, nous préférons la stabilité, l’ordre et la prédictibilité à l’incertitude ou la déstabilisation.  Nous avons l’impression d’être démunis devant le chaos.  Nous ne savons pas toujours comment réagir ou nous comporter.  La pandémie est surement le meilleur exemple.  Pendant des mois, nous étions complètement déboussolés.  Ce fut une expérience extrêmement difficile.  Nous avions souvent l’impression de naviguer dans les ténèbres.  Cependant, ce moment unique de notre vie nous a enseigné que du chaos peut émerger une transformation, une évolution.  Nous avons appris de nouveaux mots comme Zoom et de nouvelles pratiques nommées télétravail.  Sans ce chaos initial, nous n’aurions peut-être jamais exploré ces nouvelles avenues.  De la même façon, dans le texte d’aujourd’hui, sans le tohubohu initial, Dieu n’aurait peut-être jamais eu ce désir de structurer un monde désorganisé afin de créer les conditions pour que la vie se développe sur notre planète.

Le premier chapitre de la Genèse essaie de nous enseigner que le chaos n’est pas un état passif, mais plutôt une matrice puissante remplie de possibilité.  Il n’est peut-être pas cet ennemi qu’il faut combattre et mâter coûte que coûte.  Nous ne devons pas le fuir à tout prix.  En fait, nier sa présence dans nos vies personnelles ou collectives nous empêche de comprendre que la déstabilisation peut conduire à une nouvelle vie.  Le chaos n’est pas un problème, mais une porte ouvrant une multitude de possibilités lorsque nous acceptons de vivre dans l’inconfort.

En tant que croyants et croyantes, notre mission n’est pas de préserver le statu quo, de résister aux transformations ou de refuser toutes initiatives qui nous sortent de nos zones de confort.  Nous ne devons pas ériger des barrières physiques ou psychologiques qui nous protègent de toutes les influences extérieures qui veulent changer notre façon de faire.  Notre monde est en constante évolution et notre appel est de demeurer présent, actif et pertinent dans ce processus.  Nous sommes invités à croire en un Dieu qui a cette capacité de voir au-delà de la situation initiale de déstabilisation.  Nous sommes appelés à croire que durant les pires moments, une forme de résurrection est toujours possible.

La Bible débute par un mythe de création qui essaie de nous enseigner que le chaos existe depuis le début de notre monde.  Au lieu de le fuir ou le combattre, nous sommes invités à nous inspirer des actions de Dieu afin d’utiliser cet état déstabilisant pour créer et continuer à créer de nouvelles possibilités pour tous et toutes. Amen.

* Soheb Zaidi / unsplash.com