Est-ce que Dieu nous récompense selon nos efforts?
Matthieu 20 : 1-16
Yvon Deschamps est surement l’un des plus grands humoristes de l’histoire du Québec. Il nous a donné de célèbres monologues comme « Les unions kessa donne » qui pourraient être très pertinents dans l’analyse du passage d’aujourd’hui. Cependant, lors de ma préparation pour ma réflexion, un autre monologue m’est venu en tête dans lequel il raconte que durant sa jeunesse, il avait constamment peur de mourir en état de péché mortel et de ne pas aller au paradis. Un dimanche, le curé leur a raconté l’histoire d’un homme, un voleur, un tueur qui a décidé de se suicider en sautant en bas du pont. Ses derniers mots ont été: « Mon Dieu, je n’aurais pas dû… » Eh bien cet homme, a dit le curé, est maintenant au paradis parce qu’il s’est repenti juste avant de mourir.
La parabole des ouvriers de la onzième heure, aussi connue sous le nom du patron généreux, est généralement bien connue et appréciée dans nos Églises, même si elle est seulement dans l’évangile selon Matthieu. Les personnes aiment l’esprit de générosité qui s’en dégage. Cependant, cette histoire sur le royaume des cieux comporte son lot de problèmes lorsqu’on s’y attarde. Soyons honnêtes. Le maître de maison ressemble à un employeur un peu cheap. Au début de la journée, il ne recrute pas toute la main-d’œuvre dont il a besoin pour la récolte. Il complète son équipe de travail à petite dose en retournant à plusieurs reprises embaucher des ouvriers. Pensait-il s’en tirer avec le minimum de travailleurs? De plus, il y a la question de la rémunération des ouvriers. Je suis d’accord que le maître de maison a le droit d’utiliser son argent comme il le veut tant et aussi longtemps que l’accord initial avec les travailleurs est respecté. Mais pourquoi tient-il à manifester sa générosité publiquement en débutant avec les derniers venus? Pourquoi fait-il monter les attentes des premiers ouvriers en agissant ainsi? Pourquoi les premiers qui ont travaillé plus fort et plus longtemps ne sont pas déclarés égaux, mais les derniers?
Nous ressentons ce genre de malaise parce que nous vivons dans une société capitaliste basée sur des principes transactionnels. Par exemple, nous travaillons pour un employeur qui nous donne en échange un salaire. Certaines professions sont considérées plus importantes et plus prestigieuses en raison de la rémunération reçue. Ainsi, une chirurgienne est perçue plus importante qu’un simple concierge. Pour cette raison, nous sommes poussés à nous comparer constamment avec les autres pour établir notre valeur. Nous sommes à la recherche d’une certaine forme d’équité. Il est profondément injuste de ne pas recevoir la même rémunération pour les mêmes tâches.
Ce qui est vrai pour le monde du travail l’est également dans nos Églises. Tout le monde adore l’idée d’accueillir de nouveaux participants à nos rassemblements et nos activités. Cependant, ceux et celles présents depuis le début ne sont pas toujours prêts à partager leur place. Après tout, ces personnes ont fourni des efforts depuis plus longtemps. Elles ont donné beaucoup d’argent pour maintenir la paroisse. Elles ont fait des sacrifices pour mener une bonne vie. Il serait injuste que des personnes qui ont profité de la vie pendant longtemps reçoivent la même récompense. Ce genre de système ne peut pas fonctionner. Sinon, quelle est la motivation de s’impliquer dans une Église si nous pouvons simplement nous la couler douce et dire à la dernière heure : « Mon Dieu, je n’aurais pas dû… ».
Le problème avec ce genre de raisonnement est que Dieu ne fonctionne pas en termes de justice, surtout en termes de justice humaine. Dans le royaume des cieux, ce nouveau monde que Jésus est venu annoncer, nous ne sommes pas évalués selon notre performance. Nous ne devons pas compétitionner avec les autres afin d’être reconnus et appréciés. Nous avons aucune raison de ressentir de la jalousie parce que la vie de notre prochain semble plus facile. Le seul principe qui semble gouverner le royaume des cieux selon la parabole de Jésus est l’abondance. Contrairement à la logique de notre monde, nous ne perdons absolument rien si les derniers arrivés sont bien traités. Nous sommes plutôt invités à nous réjouir de cette générosité extravagante.
C’est pour cette raison que nous ne sommes pas invités à construire le royaume des cieux afin de recevoir la garantie d’une meilleure vie. Nous nous impliquons parce que nous avons reçu un appel de la part de Dieu pour aller travailler à la vigne. Comme tous les ouvriers de la parabole, nous sommes libres d’accepter ou de refuser cette invitation. Notre réponse ne doit pas être basée sur un principe transactionnel : je vais prier tous les jours, aider mon prochain et donner de l’argent à ton église et en échange tu me garantis une belle vie. Notre réponse doit se baser sur le désir de participer à ce projet un peu fou qui demande parfois des efforts, qui n’est pas toujours juste, qui ne nous paie pas à notre juste valeur et qui ne respecte pas la logique de notre monde. Nous disons oui parce que cela semble la bonne chose à faire.
Avec sa parabole des ouvriers arrivés à la onzième heure qui reçoivent le même salaire que ceux et celles qui travaillent dans les champs depuis le début de la journée, Jésus nous invite à nous extirper de nos tendances à se comparer les uns aux autres. Dans le royaume des cieux, il existe une abondance qui permet à tous et toutes d’être important et utile. Même les personnes qui se joignent à nous à la dernière minute méritent d’en profiter. Amen.
*Gabriel Jimenez, unsplash.com