Qu’est-ce la réussite?

Deutéronome 34 : 1-12

Je n’ai pas effectué une enquête exhaustive, mais je crois que la majorité des pasteurs ont prêché sur le texte de l’Évangile proposé pour aujourd’hui.  Jésus qui déclare : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée.  Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »  Ce n’est pas rien!  J’ai plutôt choisi un extrait beaucoup moins célèbre du livre du Deutéronome parce qu’il nous confronte à la notion de succès.  Comment pouvons-nous déterminer si nous avons réussi un projet?  Est-ce acceptable de ne pas mener une initiative jusqu’au bout?

Le passage biblique présentant la mort de Moïse marque la fin d’une grande saga.  À travers les cinq premiers livres de la Bible, du premier tiers de la Genèse jusqu’à la fin du Deutéronome, nous pouvons suivre une histoire débutant avec Abraham qui accepte de cheminer avec Dieu en échange de la promesse d’une terre promise à ses nombreux descendants.  Par la suite, il y a eu les aventures d’Isaac, de Jacob et de Joseph.  À un certain moment, les Hébreux se sont réfugiés en Égypte pour éviter une famine avant d’y devenir des esclaves.  Moïse, sauvé des eaux lorsqu’il était un bébé, reçoit un appel de Dieu via un buisson ardant.  Après 10 plaies spectaculaires, il a réussi à libérer son peuple. Il ouvre la mer, reçoit les tables de la Loi et guide les Hébreux dans le désert pendant 40 ans.  Un beau jour, le moment tant attendu arrive finalement.  Le Seigneur conduit Moïse au sommet du mont Nébo.  De cet endroit, le vieil homme peut apercevoir tout le territoire promis naguère à Abraham, Isaac et Jacob.  Le temps de l’errance est enfin terminé.  Et le Seigneur ajoute : « Je donnerai ce pays à ta descendance.  Je te le montre, mais tu n’y entreras pas. »  Eh oui!  L’aventure de Moïse ne se conclura pas par une entrée triomphale dans ce nouveau territoire.

À la lecture de ces mots, certains d’entre nous peuvent ressentir un sentiment d’injustice.  Après tout ce qu’il a enduré, le pauvre Moïse méritait surement une petite récompense.  Pendant des décennies, il a joué le rôle de prophète, de prêtre, de guerrier et de juge.  À de multiples occasions, il a sauvé son peuple de la soif, de la faim et de la colère divine.  Au lieu de le remercier, les Hébreux le critiquaient constamment.  Si quelqu’un méritait d’entrer en Terre promise, ne serait-ce que quelques heures, après tout ce qu’il a fait et enduré pour son peuple, c’est bien Moïse.  Pourquoi le Seigneur ne lui a-t-il pas permis de terminer ce qu’il a débuté?

Si nous nous concentrons exclusivement sur ce moment précis de la vie de Moïse pour déterminer le succès de sa mission, je crois que nous faisons fausse route.  Dieu a choisi Moïse pour délivrer son peuple, pour le délivrer du joug des Égyptiens, pour le délivrer de leur esclavage mental qui le ramenait constamment dans le passé.  Au début du passage d’aujourd’hui, il avait accompli pleinement son mandat.  Le temps était venu de passer la main à un autre leader.  Pour construire une nouvelle société sur de nouvelles bases, Dieu avait besoin d’une nouvelle génération qui a appris toutes les histoires et les bienfaits de Dieu, une génération qui a reçu le mandat de continuer la mission du peuple de Dieu.  Le temps était venu d’appeler Josué pour guider son peuple pour cette étape.

Pendant mes études au Collège théologique, un professeur nous a expliqué que les pasteurs vont et viennent, mais la communauté de foi demeure.  Tous les pasteurs quittent d’une manière ou d’une autre leur paroisse que ce soit à la suite d’un nouvel appel, la retraite ou, dans les cas plus extrêmes, la mort.  Habituellement, les pasteurs veulent choisir le moment parfait pour cette transition. Nous voulons attendre que les projets arrivent à maturité.  Nous voulons démontrer à la face du monde nos grands succès.  Cependant, nous oublions trop souvent, pasteurs comme laïcs, que malgré tous les efforts, la détermination et les heures supplémentaires, nous ne pouvons pas construire le Royaume de Dieu par nous-mêmes.  Personne d’entre nous, même les meilleurs, n’est le messie ou le Christ.  Nous ne pouvons pas tout accomplir.

Trop souvent, nous entendons des personnes affirmer qu’elles ne peuvent pas avoir un appel de Dieu pour un ministère, peu importe sa nature, parce qu’elles ne sont pas bonnes, elles ne sont pas des héros, elles n’ont pas de longues études en théologie ou elles n’ont pas la capacité d’accomplir de grands projets jusqu’au bout.  Le passage d’aujourd’hui nous appelle à penser autrement.  Comme Moïse qui était fermement convaincu que son peuple continuerait son parcours avec le Seigneur après sa disparition, nous sommes invités à croire que nous appartenons à une communion des saints, à une grande chaîne humaine, à un continuum qui a débuté longtemps avant nous et dont nous pouvons à peine imaginer le futur.  Nous devons nous souvenir que toutes les promesses et les aspirations du peuple de Dieu ne se réaliseront pas de notre vivant.  Cependant, nous pouvons continuer d’avancer et continuer nos ministères avec espoir.  D’une manière ou d’une autre, une autre génération prendra notre place et discernera le chemin à suivre pour vivre en présence de Dieu.  Cette génération apportera sa contribution avant de passer la main à la suivante, et ainsi de suite.  Nous sommes un maillon dans la construction de l’Église de Dieu.

La fin du livre du Deutéronome marque un moment important dans l’histoire du peuple de Dieu.  Moïse, le plus grand des prophètes du Premier Testament, comprend qu’il ne peut pas tout accomplir par lui-même.  Il doit laisser une nouvelle génération terminer ce qu’il a débuté.  De la même manière, nous sommes tous et toutes invités à avoir la foi que ceux et celles qui nous suivront continueront, à leur manière, nos projets et nos ministères.  Amen.

* Monica Melton, unsplash.com