Viens et vois !

Jean 1 : 43-51

Noël… Noël est passé sans fracas cette année. Pour certains comme moi à Québec, c’était un Noël plutôt verdoyant. Pour d’autres, c’était un Noël comme tous les autres d’avant. Pourtant, de croire que Noël est une fête simple avec ses bonhommes de cires et sa p’tite crèche ce serait peut-être oublier la réalité qui se déroule hors de nos belles villes, notre beau pays. Un Noël vert et commun dans un monde à feu et à sang. Qu’elle drôle de coïncidence qu’un Noël, qu’une naissance extraordinaire en pleine guerre. Guerre en terre sainte. Jésus avait beau être « fils de Dieu », il était avant tout un citoyen de notre monde avec ses grands empires, ses réussites comme ses moments d’échec. Il a vécu notre vie, marché sur nos sentiers. Tout et partout, sans exception.

Jésus est aussi un homme fort étrange quand on y pense bien. Même si on ne sait pas grand-chose de sa vie personnelle, on se l’imagine volontiers comme un frère préférant se tenir hors des sentiers battus. Si ce n’est pas par rapport à sa personnalité tout de même bien trempée, ce serait probablement par rapport à ses particularités environnementales. Non pas tant sa naissance que son histoire et sa société.

Comme bien des enfants de son époque et de la nôtre, Jésus est né sans grand privilège que ce soit. Il porte même – comme chacun de nous – divers fardeaux socio-économiques. C’est un fait : on ne peut pas échapper aux aléas de la vie qu’on ne contrôle pas. Vous et moi n’avons pas choisi nos parents ni notre lieu de naissance et encore moins le corps avec lequel nous sommes nées. Nous n’avons pas fait, de base, le choix de notre situation économique.

C’est une tragédie, bien sûr, qu’un enfant doive partager le sort des non-privilégiés d’une société donnée. Pourtant, quelle bonne nouvelle pour nous qui, dans nos misères toutes humaines, avons trouvé un Dieu qui nous a rejoints. Proche de l’humanité est le Dieu qui se révéla à nous, Seigneur que nous servons encore aujourd’hui dans nos joies comme dans nos peines.

Mine de rien, tous ces aléas de la vie viennent configurer notre rapport aux autres. Que ce soit de manière consciente ou inconsciente, nous percevons autrui à travers nos lunettes culturelles. Toutefois, rappelons-nous que nous sommes aussi au même moment à la merci du regard d’autrui. L’évangile que nous avons lu aujourd’hui nous offre le récit d’une rencontre… qui n’augurait pas très bien de prime abord. Figurez-vous que Jésus vient tout juste de commencer son ministère et que, déjà, on se fait juge de lui.

Aussitôt qu’il se fait connaître et que Philippe va l’annoncer à Nathanaël, aussitôt Jésus se voit déconsidéré. Jésus serait peu crédible non pas à cause d’une parole qu’il a dite ou d’une action qu’il a posé, mais à cause d’un aléa qu’il n’a pas choisi : son lieu de naissance, visiblement peu apprécié. Déjà, Nathanaël brasse la soupe des préjugés en minant la crédibilité de Jésus comme messie, et ce, du fait de son appartenance à Nazareth. Voilà comment débute la célèbre rencontre : « De Nazareth, dit Nathanaël, peut-il sortir quelque chose de bon ? »

Il y a des villes et des groupes qui n’ont pas nécessairement bonne réputation. À tort et à raison. La Bible – Le premier testament et l’Évangile, même –  donne même plusieurs exemples que je n’ai pas besoin de nommer. Si les préjugés existaient du temps de Jésus, malheureusement, ils sont aussi de notre temps. Venant de la Beauce, je peux vous assurer d’une chose : il y a certains endroits peu fréquentables selon des gens qui viennent de Saint-Georges, cette grande Jérusalem de Beauce ! Évitez de fréquenter Beauceville dont les habitants seraient aussi fripons que les Samaritains ! Ne parlez surtout pas du monde de Montréal, gens de Sodome et de Ninive !

Vous savez, quand on y pense… c’est probablement la même chose pour vous dans vos pâtés respectifs. Peut-être même que vous avez déjà été victime de ce genre de préjugés. Hier comme aujourd’hui, les guerres de clocher ont la couenne dure et, en tant qu’individus situés dans un espace-temps précis, nous ne pouvons pas y échapper.

C’est pour dire que nous avons tous des préjugés, conscients ou inconscients. Nous avons tous fait des expériences, vécu des blessures qui ont forgé nos schémas de pensées qui peuvent être autant raisonnables que tordus. Parfois, même, nous avons des préjugés sans raison, simplement parce que nous entendu le discours critique d’une personne à qui on accorde une parole d’autorité.

« De Nazareth, dit Nathanaël, peut-il sortir quelque chose de bon ? » Et à Philippe de lui répondre : « Viens et vois. »

L’invitation de Philippe devrait nous exhorter ce soir à examiner nos propres préjugés. Avons-nous le jugement facile ? Avons nous, peut-être, fait peser sur quelqu’un une responsabilité qu’il n’avait pas à porter ou ne le pouvait pas ? Sommes-nous trop privilégiés pour voir que certains d’entre nous sont nés dans des pays où il faut faire plusieurs kilomètres pour obtenir de l’eau, ressource essentielle pour la survie ?  Remarquez que l’apôtre ne rabroue pas Nathanaël. Il ne le critique pas et n’entre pas non plus en débat avec lui. Il ne fait que l’inviter…  L’inviter à se laisser toucher par l’altérité et entrer dans une relation avec l’autre.

Quelque part, nous sommes tous un peu des Nathanaël qui, avec raison ou pas, jugent des apparences ou des premières impressions. Cette rencontre surprenante entre lui et Jésus démontre que Dieu, malgré nos jugements, peut se révéler dans le tout-autre, dans une impensable et subversive altérité. De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ?

« Viens et vois ! » Par cette invitation à laquelle elle se donne, une personne comme vous et moi rencontre alors son Seigneur. La distance devient proximité, les barrières s’effondrent avec leurs préjugés.

Dans nos jugements hâtifs, nous risquons de passer à côté des signes de la grâce qui nous sont donnés. Or, la bonne nouvelle de cette histoire, c’est que Dieu n’abandonne jamais ; toujours il se révèle à nous, quitte à attendre jusqu’à la toute fin pour que nous l’apercevions. Déjà, alors que nous étions en train de chercher le lien pour nous connecter à Sainte-Claire, il nous observait comme Nathanaël sous le figuier. Si nous ne connaissions pas l’altérité, elle, au contraire, nous connaît déjà. Suffit de faire le premier pas.

À nous toutes et tous qui sommes des Nathanaël à certains égards, Dieu fait part de sa Parole. Il se révèle souvent en dehors de nos schémas, comme si la surprise était dans la nature de Dieu. Sorte d’instabilité des habitudes, chamboulement des structures humaines qui nous protégerait supposément des influences extérieures. C’est tout de même le Dieu du tout autre qui vit parmi nous, n’est-ce pas ?

En ce deuxième dimanche de 2024, saisissons-nous de cette occasion pour débusquer les préconceptions que nous pouvons avoir. Acceptons l’invitation de Philippe et allons à la rencontre du Seigneur venu de ce qui est inconnu. Sortons de nos maisons aux lourds verrous pour entrer dans l’étonnement puisque, comme l’Évangile nous le raconte, le divin a jailli dans inattendu. « De  Montréal… de Sodome… de Beauceville… de Nivime…  peut-il sortir quelque chose de bon ? » C’est le Seigneur qui nous appelle et vient à nous, de Nazareth et de tous les endroits qui nous semblent improbables. C’est Jésus qui a traversé les joies et les peines, qui nous as extirpé des ténèbres pour nous faire vivre à nouveau.

Soyons sans crainte ; Dieu fait toutes choses nouvelles, nos cœurs y compris.

Amen.