Dieu, ce jardinier!

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Jean 15 : 1 – 8

C’est maintenant l’après-Pâques, fête tout de même bien soulignée dans notre beau pays de neige, même en avril ! Fête des chocolats, du sucre à la crème de grand-maman. Des bisous, des retrouvailles et même des rabais sur Amazon. Une très sainte fête commerciale ! Malgré cela, c’est sans dire que vous et moi savons ce que Pâques signifie. En effet, c’est bien plus qu’une rencontre de famille et un échange de poules en chocolat, n’est-ce pas ?

Nous le savons : cette fête consiste avant tout en un moment charnière pour les chrétiens que nous sommes. Un moment charnière, oui, où l’on ne s’inscrit plus seulement dans le ministère de Jésus de Nazareth, son enseignement et ses signes miraculeux, mais aussi dans sa résurrection comme Christ. Le tournant de Pâques nous amène à reconnaître que celui que l’on côtoyait alors comme frère de chair et de sang se côtoie désormais en nous et parmi nous. Toutes nos rencontres nous rappellent que nous appartenons au Christ et que nous faisons corps avec lui, véritable pieds de nez à la tendance de notre époque.

Parlant de « faire corps » avec le Christ ressuscité… C’est un véritable flashback de l’Évangile qui nous est présenté aujourd’hui. On pourrait même dire que notre lecture constitue en fait une invitation à poser un regard derrière nous. En cet après-Pâques, nous effectuons une relecture de notre expérience du ministère de Jésus. Sa parabole de la vigne peut nous apparaître alors sous un nouvel angle… Un angle de vie et d’appel à la communauté. Notre frère, venant de se révéler comme Christ à travers sa résurrection, se présente ici comme une vigne à laquelle nous nous rattachons. Nous lui appartenons, peu importe notre origine, notre couleur de peau, notre histoire. Pas de place ici pour la droite identitaire.

Chacun de nous fait corps avec lui… Mais, à bien y penser, dans quelle mesure ?  Être le sarment de la vigne signifie-t-il disparaître en elle ? Cela veut-il dire qu’il faut s’oublier complètement, quitte à nous dépouiller de tout ce qu’on a, tout ce qu’on est ? Comme quoi les fameuses paraboles de Jésus amènent parfois plus de questions que de réponses. Néanmoins, soulevons quelques aspects de cette analogie aux accents d’horticulture, voire si on ne pourrait pas y trouver un peu de sens pour nous, 2000 ans plus tard !

Un aspect de la parabole qui pourrait nous interpeller concerne principalement la figure du Père. Ce dernier, dans les termes de Jésus lui-même, se contente d’un rôle de jardinier. Et comme tout bon jardinier, il a pour tâche d’émonder les sarments de la vigne. Qui s’est déjà occupé de plantes sait que l’émondage est utile, si ce n’est pour dire nécessaire à leur croissance. On peut penser aux feuilles blessées ou encore aux fleurs qui, bien qu’elles soient jolies, parasitent en fait une bonne part d’énergie qui serait autrement consacrée au développement du plant. Émonder, dans le langage de horticulture, rime avec soigner. Et soigner, c’est parfois prendre des décisions embêtantes. Nous en sommes bien conscients, nous, qui sommes des êtres qui reposent sur les choix que nous faisons, ainsi que les conséquences qui en découlent.

Bien que je sois moi-même un amateur d’horticulture, il me fait parfois un pincement au cœur lorsque je coupe une feuille fripée ou des fleurs un peu fanées. Et pourtant, un tel soin aux allures d’amputation peut aider la plante à retrouver son équilibre. Peut-être le ressentons-nous : nous aussi nous sommes émondés pour mieux retrouver notre équilibre. Outre la vie que nous célébrons, les deuils que portons dans notre cœur, nos journées sont – grâce soit rendue à Dieu – remplies d’occasion de croissance. Un meilleur emploi se présente, nous invitant à quitter l’ancien. Un déménagement nous fait passer à une nouvelle étape. Un voyage nous faisant découvrir de nouveaux pays, de nouvelles terres. Une remise en question, de nouveaux amis. Avoir des enfants, tient, c’est tout un émondage, ça là ! Par ces évènements-là qui, je l’espère, sont a nos yeux providentiels, Dieu nous fait entrer dans une relation à deux versants. Une relation avec lui, mais aussi avec les autres et qui donne sur la guérison, la transformation. Bref, la vie.

Dans cette optique, on peut en conclure que la vigne à laquelle nous sommes rattachés peut renvoyer à un espace relationnel, voir même un espace communautaire. Pensons-y… Les fruits que nous portons ne sont-ils pas destinés à tous et toutes ? N’exigent-ils pas une connaissance que l’on se transmet ? Les plants ne sont-ils attachés les uns aux autres par ces tiges se côtoyant sans cesse et ces racines s’entremêlant dans la terre ? De même, que serait la collectivité sans ses individus, la ville sans ses nombreux citoyens ? Que serait une forêt sans la présence d’arbre ? Plus tôt, j’avoue avoir été un peu rieur en évoquant les poules en chocolat et les rencontres avec grand-maman qui donne des sucres à la crème ! Mais, au final, Pâques n’est-il pas cette occasion de nous rencontrer dans le jardin d’un Dieu de la vie ? Un Dieu qui révéla sa présence éternelle à Marie de Magdala, aux disciples qui firent ensemble Église ?

Il n’est pas question ici de dissoudre notre identité ou de périr au nom de l’unité. La parabole de Jésus nous invite aujourd’hui à nous reconnaître comme unis aux autres parce que nous sommes à lui, et ce, dans ce que nous sommes comme individus qui partagent une même adhérence, une même foi.

Frères et sœurs, c’est un fait que nous portons des fardeaux qui parasitent souvent notre énergie. Des déceptions dans la vie politique, des deuils amoureux ou d’idéaux, des rancunes bien placées… Et pourtant, en tant que sarments qui tendent vers la mort, nous sommes invités à nous tourner vers la vie et à porter les fruits de la résurrection chaque jour. Dès lors, la plante asséchée se relève sous la pluie, l’arbre coupé développe de petits rameaux où se trouve sa blessure. Ainsi, comme sarments de sa vigne, comme Église portant sa propre diversité et ses points de rupture, Dieu nous invite à nous laisser soigner, mais aussi à prendre soin des uns et des autres.

Malgré nos blessures, la terre parfois inondée ou asséchée, les défis de la vie en Église, soyons certains que nous porterons du fruit. Jésus en est lui-même la preuve, lui qui a donné sa vie pour devenir cet espace où nous pouvons vivre tous ensemble en lui et par lui.

Grâce lui soit rendue pour le don de la vie,

Amen