Un plan remis en question
Marc 7 : 24 – 37
Jésus le Christ, le Messie, le Sauveur du monde… Toutes ces expressions utilisées par l’Église depuis des siècles nous permettent de mieux comprendre qui était cette personne au centre de la foi chrétienne. Cependant, tous ces mots sont également employés pour se créer un Jésus à notre goût. Le fils de Dieu se doit d’être parfait. Le Messie ne peut pas avoir un moment de doute sur sa mission. Le Christ ne peut pas avoir commis une erreur. Lorsque nous rencontrons des passages bibliques qui ne correspondent pas à nos attentes, lorsque nous sommes confrontés à des récits qui nous dérangent, lorsque les mots de Jésus semblent être en contradiction avec les enseignements de Dieu, nous sommes tentés de résoudre ce problème avec des explications parfois trop simplistes ou de tout simplement ignorer le passage.
Dans l’extrait d’aujourd’hui, tiré de l’évangile selon Marc, nous retrouvons Jésus dans le territoire de Tyr. Peut-être fatigué de ses nombreuses querelles avec les pharisiens et les scribes, il s’est réfugié dans une région peuplée de païens (du point de vue des juifs). Il entre dans une maison. Il ne veut pas qu’on le sache. Il veut probablement demeurer incognito pour se reposer un peu. Malheureusement pour lui, les événements prennent une autre tournure.
Tout de suite, une femme vient se jeter aux pieds de Jésus. Le texte prend le temps de spécifier qu’elle était une étrangère, une personne d’origine syro-phénicienne. Cette femme supplie Jésus de chasser un démon hors de sa fille. À première vue, cette demande paraît relativement simple parce que Jésus a déjà guéri d’autres personnes affligées par ce mal auparavant dans l’évangile selon Marc. Alors, nous serions en droit de nous attendre que cette requête soit exaucée immédiatement. Nous espérons que Jésus lui répond : « Oui, ma chère. Elle est déjà libérée de son mal. Va en paix! » Cependant, Jésus lui répond plutôt : « Laisse d’abord les enfants se rassasier, car ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. »
Cette réponse perturbe plusieurs croyants de nos jours parce qu’elle ne correspond pas à leur conception de Jésus. Pourquoi refuse-t-il de guérir une personne souffrante? Est-ce que Jésus, ce jour-là, a eu une crampe au cerveau? Est-ce qu’il a fait preuve de racisme ou misogynie en la traitant de chienne? Est-ce qu’il voulait tester la femme pour savoir si sa foi était réelle? Comme vous pouvez facilement l’imaginer, de nombreuses explications ont été formulées au cours des siècles pour corriger cette apparente aberration. Celle que je préfère stipule que Jésus ne rejette pas nécessairement la demande de la femme; il tente plutôt de lui expliquer sa vision de son ministère, quelque chose comme : « Même si je suis le fils de Dieu, je ne peux pas être partout; je ne peux pas tout faire en même temps. Je dois établir des priorités. J’ai déjà assez de problèmes avec les Juifs, je ne peux pas m’occuper des gens des autres régions. Il n’y aurait plus de fin. Donc, je commence avec ma gang et ensuite on pourra s’étendre aux autres groupes. Désoler ma bonne dame. Le timing n’est juste pas bon. »
Je pense qu’une partie de nous comprend très bien cette réponse. Nous vivons dans un monde d’études de marché, de plans stratégiques et d’objectifs quantifiables qu’il faut atteindre. Un peu partout, on nous rappelle constamment que nous ne devons pas trop nous étendre. Nous devons nous concentrer sur nos valeurs principales. La même chose s’applique dans nos Églises. Nous n’avons plus les moyens de nos ambitions. Notre fragilité en Occident nous pousse à choisir nos causes et nos ministères à l’aide de stratégies clairement établies. Nous choisissons souvent le local à l’international. Nous préférons aider les nôtres avant d’envoyer de l’argent ailleurs.
Si cette attitude peut se défendre logiquement, la réalité ne suit pas toujours nos beaux plans élaborés à l’avance. La fille de la femme syro-phénicienne souffre maintenant. Elle a besoin d’aide maintenant. Elle a besoin de l’intervention de Jésus maintenant. Dans cinq ans, il sera peut-être trop tard. Ceci explique surement l’insistance de la femme syro-phénicienne. La réponse qu’elle offre à Jésus vise à bousculer sa vision des choses. Si tout le monde mange à sa faim, qu’est-ce que ça dérange si les autres peuvent ramasser les miettes? Si tous les Juifs peuvent entendre ton message, qu’est-ce que cela leur enlève si d’autres croient en toi? Qu’est-ce que ça te coûte vraiment de guérir ma fille maintenant?
Je crois que nous avons en nous ce réflexe très humain de regarder les choses à travers une petite lorgnette au lieu d’adopter une vision plus globale. Nous ne pouvons pas prendre un comprimé pour guérir notre mal de tête, mais laisser notre pied s’infecter parce qu’il n’est pas assez près du haut du corps. À travers nos différents projets et ministères, nous ne pouvons pas nous limiter à un seul groupe ou une catégorie de la population. Nous sommes tous et toutes appelés à un ministère d’inclusivité, surtout auprès des personnes qui n’entrent pas dans nos cadres prédéterminés. Lorsque les personnes nous disent que l’on ne va pas commencer à s’occuper des vieux, des femmes, des homosexuels, des personnes trans, des handicapés et des immigrants, nous sommes invités à répondre : oui, justement. Peu importe nos plans, nos visions ou nos perceptions, il y a des gens qui souffrent maintenant. Il y a des gens qui ont besoin d’entendre notre message maintenant. Il y a des gens qui recherchent de la compassion maintenant. Devant ce défi, nous sommes les personnes qui doivent s’adapter. Nous sommes ceux et celles qui doivent ouvrir nos horizons afin de demeurer pertinents pour notre monde.
Qui mérite notre aide? Qui sont les bons étrangers dignes de notre attention? Le récit de la rencontre entre Jésus et la femme syro-phénicienne nous rappelle que nous ne pouvons pas limiter nos actions à seulement une communauté ou une nationalité. Nous sommes appelés à répondre aux besoins exprimés maintenant, peu importe si cela bouscule nos plans, nos objectifs ou nos attentes. Amen.