Repartir au désert
Nombres 14, 13-25
Dur, dur constat pour les Israélites, n’est-ce pas ?
On ne s’en rend peut-être pas tout à fait compte, mais cet épisode du peuple des saints constitue probablement un des pires coups du destin contre lui. Tout comme l’Exil à Babylone qui dura près de 70 ans, l’impossibilité d’entrer au pays promis est un évènement mentionné plusieurs fois dans les Écritures.
Imaginez-vous donc : après une promesse de liberté, l’élection de Moïse qui guida le peuple, la cavale des Hébreux qui passent par la mer rouge à pieds secs, l’eau qui se referme sur les cavaliers égyptiens… Sans compter non plus sur le don de la Loi, les scènes extraordinaires au mont Sinaï comme dans le film « Les dix commandements », l’effondrement du mur de Jéricho et j’en passe… Voilà que le peuple se trouve au pied du mur. Tout ça… pour ne pas entrer dans le pays promis. Ça fait dur ; méchant pétard mouillé, cette histoire-là !
Tant bien que mal, les auteurs bibliques ont essayé d’expliquer ce désastre. Ce seraient pour les uns les péchés du peuple qui ont conduit à cette punition, pour d’autres celui de Moïse. N’en reste pas moins la déception et la honte du peuple qui doit se demander à quoi aura bien servi l’Exode. Si Dieu se plaint des murmures du peuple, et bien, il n’a pas fini de l’entendre !
Cette histoire-là est bien sûr éloignée de la nôtre, autant au niveau de l’époque que des soucis, hein ! Contrairement aux Hébreux, nous ne sommes pas en exode, essayant de trouver une terre où habiter. Ce récit-là ne dirait pas grand-chose, bien honnêtement, à une population blanche et canadienne. Pourtant, la thématique de la déception et du deuil d’un rêve ne nous est pas complètement inconnue non plus.
Des déceptions, des deuils, nous en avons tous et toutes vécu à divers niveaux.
Pour certains, bien sûr, il est bel et bien question de la perte d’êtres chers. Pertes toujours inattendues qui bousculent complètement la dynamique d’une famille et qui, sur le coup, nous referment dans le mouvement de la peine. Pour d’autres, comme moi, le récit du peuple hébreu peut nous rappeler notre histoire de vie personnelle où nous avons cultivé plusieurs attentes qui se révélèrent être déçues.
Chacun et chacune de nous ont été porté par des rêves auquel nous accordions certitude puisque nous y voyions alors la bénédiction de Dieu qui nous disait d’aller de l’avant. Qu’elle déception pour nous de nous retrouver devant une relation inopérante… un domaine d’étude où on accumule les échecs imprévus… une profession qui, malgré tout ce qu’on pouvait anticiper, nous a fait finalement bien souffrir.
Tout comme pour Moïse et le reste des Hébreux, qu’elle déception pour nous que de nous faire dire : « Dès demain, tournez-vous pour repartir vers le désert ». Ce feeling-là, nous l’avons tous déjà vécu, moi y compris. J’en sais quelque chose… Lorsque j’ai eu mon entrevue mardi avec le Conseil des candidatures, on me posa l’inévitable question : « Qu’en est-il finalement, Jean-Philippe, de tes aspirations à l’aumônerie militaire ? » À moi de répondre simplement que, ayant essayé pendant le temps d’un été, je m’aperçus que je n’étais pas à l’aise dans ce milieu et que nous ne poursuivions pas le même objectif. C’est une aspiration qui m’accompagna depuis que j’avais 14 ans, mais qui se termina dans cette impression-là de me ramasser face à un mur.
Des « échecs » comme celui-là et comme bien d’autres sont difficiles à avaler. Pourtant, je crois qu’il reste quand même du bon à ces aspirations que nous avions… Il reste notre beau parcours, ces rêves qui ont certes durées le temps d’un été, mais qui nous ont accompagné et encouragé tout au long de la route.
Nous avons grandi à travers nos aspirations, et ce, tout en étant accompagnés du Seigneur. Tout comme nous, le peuple hébreu a grandi en maturité, il a appris à se définir et à se prendre en charge, et ce, toujours dans le sillon de l’amour de Dieu. Nos échecs, nos déceptions ne sont pas des malédictions ou des culs de sacs dans lesquels nous sommes condamnés. Si le peuple fut accompagné du Seigneur tout au long de la route vers le pays promis, il l’a tout autant été sur le chemin du retour.
Les témoignages bibliques nous rappellent avec raison que le chemin proposé par le Seigneur en est toujours un de vie et non pas de mort. Peu importe nos défaites, nos déroutes, nos échecs et nos ruptures, il y a toujours une suite au plan de Dieu pour nous, comme la nuit laisse place au jour, comme l’hiver laisse place au printemps.
Peu importe nos deuils et nos errances, rendons grâce à Dieu ce soir pour notre vie. Soyons dans l’action de grâce pour tous ces chemins qui nous ont menés jusqu’ici. Sages comme irréfléchis, droits comme tortueux. Amen