Une audace de jeunes
Marc 10, 35-45 \ Hébreux 5, 1-10
Imaginez-vous donc un instant la scène où Jésus se met à l’écoute de Jacques et Jean, deux jeunes disciples qu’il a choisis. « Jacques et Jean, qu’est-ce que vous souhaitez que j’fasse pour vous ? » – « Quand tu vas être en haut, répond Jean, fais-nous donc siéger à côté de toi. Moi à droite, l’autre à gauche. »
Ouin ! Cette demande-là pour le moins surprenante à de quoi nous faire réagir. Être à la gauche et à la droite de Jésus lorsqu’il sera dans sa gloire… Quelle folie, quelle impétuosité qui n’est pas sans attirer le courroux des autres disciples. Et oui, pour qui ils se prennent, ces jeunes-là ? D’où est-ce que ça sort cette demande-là ? Un vrai affront. Un vrai affront, oui, pour celui ou celle qui sait c’est quoi la « vraie vie » !
Nous pourrions nous offusquer nous aussi de la demande des deux frères qui ont du front tout autour de la tête. Et ce n’est pas finit non plus ! À Jésus qui leur dit qu’ils ne savent pas ce qu’ils demandent et qui essaie de les raisonner ensuite à savoir s’ils prétendent être capable de traverser les mêmes épreuves que lui, Jacques et Jean poussent l’affront à dire : « Oui, nous le pouvons ! » Entre vous et moi, on serait peut-être tenté d’éclater de rire et de nous exclamer : « Ben voyons donc ! »
Cette réaction qui pourrait être la nôtre peut trouver son origine quelque part dans nos cœurs… nos cœurs d’enfants blessés. Ce qui me semble être le plus probable comme hypothèse pourrait concerner notre propre parcours de « jeunes » qui ont été – pour certains comme moi – un peu écervelés, un peu rêveurs et ambitieux. Ambitieux, cela dit, d’une ambition parfois mal reçue. Rappelons-nous un instant de notre jeunesse ou d’un temps jadis où nous rêvions de changer le monde… On aspirait alors à des belles folies toutes plus impossibles les unes que les autres si on écoutait tout ce que nos parents ou nos anciens nous dictaient.
Aussi… Souvenons-nous de notre appel ou d’un moment décisif dans notre accueil et notre intégration de l’Évangile. Une bonne partie de nous – moi le premier – étions comme Jacques et Jean, c’est-à-dire tout feu tout flamme à l’idée de suivre Jésus. Un bon exemple quant à une réponse radicale à l’Évangile sont toutes ces personnes – jeunes ou moins jeunes – qui font cette première expérience de Dieu et qui se disent appelées au ministère. Nombre de fois j’ai entendu des jeunes convertis dirent : « Moi j’veux devenir pasteur ou prêtre catholique ! » Sans trop réfléchir sur le long terme, la fougue du premier amour emporte tout. Les rêves, les ambitions et le désir importent plus que tout. Une audace folle transporte les jeunes esprits, mais une audace bel et bien réelle et légitime !
C’est ce que ça me rappelle, cette demande-là de Jacques et Jean qui répondent tout haut « Oui, nous le pouvons » ou comme une bonne amie disait avec un élan tout autant similaire : « Chu capable ! » Dans la demande de Jacques et Jean, on ne peut pas faire autrement que d’entendre : « Oui, Jésus, nous voulons te suivre et sommes prêts à partager ta vie, ta mort et ta vie au-delà de la mort. Avec toi, nous siégerons dans ta gloire. » Ça semble venir de profond, cette assurance-là, vous ne trouvez pas ? J’ai pour mon dire qu’une telle force de caractère peut juste venir du cœur qui rencontre son Seigneur, et ce, peu importe la maladresse ou l’intonation employée.
Malheureusement, la réaction des autres disciples peut nous être familière. D’un côté, combien de fois avons-nous fait expérience d’une porte d’église qui se ferme à notre nez ? Le « Chu capable » du cœur débordant de lumière qui était nôtre s’est heurté au charbon refroidi du « Ben voyons donc ! » Comme moi, vous avez sûrement été témoins de ces Jacques et Jean énonçant leur désir de suivre Jésus pour n’être ensuite que rabroué. Peut-être que, d’une manière ou d’une autre, vous avez aussi été un de ces aspirants-là.
On dirait que c’est plus fort que soi, des fois, de recadrer et, dans des milieux plus cléricaux que le nôtre, casser le désir initial en faisant bien comprendre que tout ça c’est juste une audace de jeunes. « Ben voyons donc, t’es trop jeune, trop ambitieux. Ça c’est la fièvre des nouveaux convertis. Ça va passer ! » Pire que ça, des fois c’est le silence radio, le manque d’intérêt… Pourtant, les Écritures nous rappellent ce matin que ce n’est pas l’aptitude de Jésus. Contrairement à cette réaction initiale qui pourrait être la nôtre, il ne s’offusque pas du tout de cette audace de jeunes et encore moins de leur réponse ! « Oui, nous le pouvons. Chu capable ! »
D’ailleurs, c’est plutôt, à mon sens, la réaction des autres disciples qui incite Jésus à leur faire part d’une correction toute fraternelle. « Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur, leur dit-il, et celui qui veut être le premier parmi vous sera l’esclave de tous… Les premiers seront les derniers et les derniers les premiers. » On ne s’attendrait pas à une telle réponse. Toutefois, on doit se rendre à l’évidence du propos : le plus grand d’entre nous est celui qui sert autrui. Le serviteur de Dieu est celui qui boit la coupe et est baptisé dans le don de sa propre vie.
« Oui, nous le pouvons. Chu capable ! » À Jésus alors de répondre à l’audace de Jacques et Jean : « Vous boirez en effet la coupe que je vais boire et vous serez baptisés du baptême où je vais être plongé. » Dès lors, cet affront qui irritait bien du monde, cette audace de jeunes a désormais de quoi être pris au sérieux. Si un appel doit toujours être discerné en groupe à travers le mouvement de l’Esprit, nous ne pouvons pas passer sous silence un cœur appelé par Dieu.
C’est pour ainsi dire que nous ne devons pas avoir peur d’accueillir autrui et son appel, aussi fou ce dernier peut-il paraître. Or, dans un autre ordre d’idée, il nous faut aussi retrouver les rêves et ambitions qui sont ou qui étaient nôtres. Jeunes comme moins jeunes ; nous sommes tous disciples d’un Dieu qui renverse l’impossible pour ne laisser place qu’aux potentialités. Ceux qui ont ri de nous ou nous ont remis en question pourront être confondus. Vous connaissez bien l’expression : Qui rit, rira bien le dernier !
Même si les jeunes comme Jacques et Jean peuvent avoir des aspirations plus ou moins réfléchies sur le long terme ou des rêves plus momentanés, reste que cette audace constitue un germe. Il est le résultat d’une semence qui a été plantée par l’Esprit. Reste maintenant à voir quel est l’arbre qui naîtra du grain qui vient de mourir… pour mieux jaillir dans la vie nouvelle. Frères et sœurs, que Dieu continue à nous faire rêver tout en marchant; qu’il nous inspire des paroles audacieuses qui nous gardent toujours vivants et vivantes, jeunes de cœur et d’esprit. Amen