Si seulement…

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Luc 19, 28-44

Vous savez, un grand théologien nommé Karl Barthe disait qu’il faut annoncer l’Évangile la Bible dans une main puis le journal dans l’autre… Je dois bien dire que cette recommandation-là peut nous faire sourire en ce dimanche des Rameaux. D’un côté, nous avons l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et, de l’autre, le chaos qui sévit aux quatre coins du monde.

Il faut dire que le journal n’est pas en reste avec les frasques du président américain. Il n’y a pas un seul jour qui passe sans que son règne ne soit associé à des coupures drastiques, des bris de relations et des propos incendiaires. C’est peu dire que son règne actuel donne une bien mauvaise image de ce qu’est être un « roi ».

Mine de rien, c’est peut-être pour cette raison que certains et certaines d’entre nous – moi le premier – restent aussi sceptiques devant l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem. « Jésus comme roi… ben voyons donc ! » Ça détonne avec ce qu’on connaît de la royauté, n’est-ce pas ? Pourtant, le texte qu’on a commenté tous ensemble comporte quelques éléments qui pourraient recalibrer notre conception du pouvoir… selon les principes de Dieu.

Dans un premier temps, l’idée même d’un Jésus monarchique pose problème. En aucune manière et en aucun lieu, Jésus s’est qualifié roi de quelconque pays. Si, devant Pilatre, il ne nie pas la royauté dont il est issu, son règne, lui, s’inscrit plutôt dans une tout autre logique que la nôtre. Son règne n’est définitivement pas de ce monde.

Plusieurs exemples, tous tirés de son ministère, nous le démontrent. On a juste à penser à la réponse de Jésus à Jacques et Jean qui désiraient siéger à sa droite et à sa gauche. Sans mal prendre cette audace de jeunes, Jésus les invita au contraire à revoir leur conception de la grandeur. Dans la logique du Royaume des cieux, le plus grand parmi nous sera le plus petit ; Jésus n’est pas venu pour être servi, mais pour servir la multitude. Si seulement on avait retenu ce commandement de Jésus… !

Ce petit aparté que je viens de faire est important puisque l’entrée triomphale à Jérusalem s’inscrit dans la même logique. On peut s’en faire entre autres une idée en considérant le choix de Jésus quant à sa monture pour le moins surprenante. Jésus choisit délibérément de monter sur un ânon. Ce n’est pas un hasard, ce n’est pas non plus un choix attribué à la divine Providence. Par ce choix qui fait écho à des prophéties bibliques, Jésus pose les fondations d’un leadership jusqu’alors inattendu et bien éloigné des idées usuelles.

Comme Jésus le fit remarqué à Jacques et Jean, le plus grand d’entre tous est celui, en fait, qui se met au service des autres et qui donne sa vie pour eux. Ce n’est donc pas aux sujets de donner leur vie pour leur roi, mais c’est au roi de donner sa vie pour ses sujets. Décidément, la philosophie politique de Jésus s’opère dans des gestes et symboles qui frappent l’esprit tant ils détonnent d’avec nos préconceptions du pouvoir.

Être roi – si on peut qualifier Jésus de roi en premier lieu – n’est pas une responsabilité qui renvoie à l’exercice de la toute-puissance qui détruit et divise, mais bel et bien à l’esprit de service qui donne la vie et la paix. Jésus, par son entrée à Jérusalem, évoque un autre type de royauté que celle qu’on connaît et qui se manifeste actuellement par la violence.

Ces différentes remarques nous amènent bien entendu à nous pencher sur la fameuse lamentation de Jésus vis-à-vis de Jérusalem. Certains et certaines d’entre nous ont pu être surpris – avec raison – de ce passage que j’ai ajouté et qu’on lit très (trop?) rarement lors du dimanche des Rameaux.

C’est peu dire que la lamentation de Jésus sur Jérusalem détonne de l’entrée triomphale qu’on lui a réservée. Notre Jésus, comme à son habitude, est un expert en cassage de party, changeant l’ambiance de fête à celle du deuil en seulement quelques secondes.

Impossible, à mon avis, d’évoquer l’entrée triomphale à Jérusalem sans mentionner les larmes de Jésus. Des larmes, cela dit, qui ont ce je-ne-sais-quoi d’une parole prophétique. Bien qu’on puisse voir dans l’annonce de la destruction de Jérusalem une affirmation théologique où le Règne de Dieu s’exercera en dehors d’un lieu spécifique, on peut aussi y voir avec raison l’anticipation d’un évènement politique gravissime.

Comme nous, Jésus a vécu sous un régime politique où la violence faisait tous les jours la une des manchettes. Tandis que l’autorité romaine est abondamment mentionnée dans les Évangiles et que, d’aucune manière, Jésus s’opposa à César, on n’est pas sans savoir non plus que Jésus aimait s’entourer de gens politiquement hétérogènes. Parmi ses disciples se trouvaient entre autres des zélotes comme Simon, un groupe de rebelles voulant chasser l’autorité romaine des terres d’Israël, et ce, par la force s’il le fallait.

Contrairement à ce mouvement révolutionnaire, Jésus a reconnu l’autorité politique de César, mais tout en considérant que Dieu seul est maître et souverain. Pour Jésus, Dieu est venu visiter son peuple pour lui offrir la paix. Une paix qui n’a pas besoin d’employer la violence ni la division pour s’établir. Cet impératif-là que nous a transmis Jésus par son ministère était bien différent de celui des zélotes.

Nous connaissons la suite de l’histoire. L’invitation de Jésus sera rejetée par le peuple qui l’acclamait pourtant et, en l’an 70, une tentative de révolution eut de lourdes conséquences à Jérusalem. Non seulement Rome saccagea la ville sainte en guise de rétribution, mais détruisit aussi le temple qui jamais ne se relèvera.

Ultimement, la royauté de Jésus en est une fondée sur la paix et le service, impératif que rejetèrent ceux et celles qui le trahiront bientôt et qui causeront sa mort. Contrairement à la royauté actuelle qui puise son pouvoir dans le chaos et la soumission des plus petits, celle de Jésus en est une fondée sur l’amour et l’humilité où chacun et chacune est serviteur et servante de l’autre.

En ce dimanche des Rameaux, puissions-nous réfléchir à nos mouvements intérieurs qui nous rendent enclins à faire certains choix, bons ou mauvais. Et nous, comment concevons-nous notre mission ? Quelles perspectives avons-nous du pouvoir ? Que désirons-nous d’un roi… de Dieu ? Par ces questions qui émanent du texte, Dieu souhaite que nos coeurs se revêtent de chair et non pas de pierre. Des coeurs qui s’adaptent, mais qui ne sont pas complaisants pour autant vis-à-vis du mal.

Il est de notre responsabilité comme chrétiens et chrétiennes d’oeuvrer pour un règne de paix, loin des préconceptions usuelles du pouvoir qui se rattache à l’esprit de domination et de division. Le règne du Seigneur Jésus, au contraire, en est un qui s’inscrit dans la paix et le service rendu. Ce n’est pas un règne où l’on sème et récolte la division, mais la vie… et la vie en surabondance.

Frères et sœurs, alors que la croix du Seigneur se pointe à l’horizon et que le temps de sa Passion approche, rentrons en nous-mêmes pour discerner les chemins de notre coeur. Sur l’ânon, le petit de l’ânesse, Dieu s’est rendu tout petit pour être avec nous; il nous a visités en toute humilité pour nous servir, et ce, jusque dans le don de sa vie. Amen.