Dieu, au-delà de notre justice
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Apocalypse 21, 1-8
Ah, la justice! N’y a-t-il pas un sujet plus évoqué que celui-là dans les Écritures ? Il faut bien croire que ça intéresse l’humanité, car la Bible en parle du début à la fin, de la Genèse à l’Apocalypse. Rien de bien surprenant quand on constate que nous vivons bel et bien dans un monde où les iniquités ont sévi et sévissent encore.
Plus près de chez nous, en notre temps, on a de bien beaux exemples. Saviez-vous que, en 2022, en pleine crise du Covid, les plus riches en Amérique du Nord gagnaient pas moins de 15 000$ à chaque seconde de leur existence[1] ?
« Mais, Jean-Philippe! diront certains. Chacun est libre d’exercer ses habiletés pour gagner leur vie ». Certes, mais il reste qu’il y a bel et bien un problème lorsque ces personnes-là gagnent leurs ressources financières en exploitant bien souvent la condition des autres. C’est sans compter, d’ailleurs, l’écart épouvantable entre les riches et le reste du peuple qui n’a pas toujours les moyens d’avoir des conditions de vie décentes. Quel meilleur exemple d’injustice que celui de notre système capitaliste!
Mine de rien, l’aspiration à la justice est sans cesse d’actualité puisque nous vivons à la merci de systèmes qui se trouvent à être bien souvent éloignés de nos espérances. Des systèmes, cela dit, auquel l’Évangile nous invite à combattre par l’amour et la recherche de justice. Notre foi en est une qui est, essentiellement, engagée dans le monde.
Malheureusement… Malheureusement! qu’on le veuille ou pas, notre engagement à ses limites, surtout en constatant l’état de notre monde où nos œuvres ne font pas souvent le poids contre les grands systèmes qui sévissent. Combattre la haine, mettre fin à l’exploitation outrancière de notre planète… Voilà de beaux objectifs, mais dont les moyens nous manquent cruellement. Vous savez, ce sont dans des moments comme ceux-là, je crois, que nous sommes portés à espérer en la justice de Dieu qui jugerait impartialement les uns et les autres selon des critères rigoureux. Comment, en d’autres termes, ne pas espérer en une « juste rétribution divine » lorsque nos œuvres échouent à renverser les violences systémiques une bonne fois pour toutes ? Vous et moi avons soif de justice.
Je ne pense pas que vous seriez étonnés de savoir que le Livre de l’apocalypse évoque lui aussi cette soif chez le peuple. On peut s’en faire tout d’abord une idée en prenant en compte le contexte de son écriture qui a eu lieu, semble-t-il, lors des persécutions contre les premières communautés chrétiennes. Eux aussi vivaient, tout comme nous, dans des systèmes d’exploitation.
Ce n’est pas sans raison, voyez-vous, que la soif de justice du peuple s’exprime dans l’Apocalypse à travers divers symboles, mais, surtout, à travers le jugement de Dieu. À l’auteur de l’Apocalypse, le Seigneur dit :
« Le vainqueur [c’est-à-dire celui qui persiste à suivre mes commandements] recevra cet héritage [du Royaume], et je serai son Dieu, et lui sera mon fils. Quant aux lâches, aux infidèles, aux dépravés, aux meurtriers, aux impudiques, aux magiciens, aux idolâtres et à tous les menteurs, leur part se trouve dans l’étang embrasé de feu et de soufre : c’est la seconde mort. »
Nombre d’entre nous, j’en conviens, pourraient être mal à l’aise vis-à-vis de ce jugement catégorique. Celui-ci ne serait-il pas, entre autres, contraire à la grâce de Dieu ? D’autre part, qui de nous n’a pas déjà été infidèle, lâche et idolâtre à un point ou à un autre de sa vie ? Qui ne l’est pas encore de temps à autre ? Qui, même, ne participe pas malgré lui aux systèmes qui produisent l’injustice ?
Déjà, reconnaître notre condition est un acte d’humilité qui nous permet de prendre une certaine distance avec nos conceptions de Dieu qui dérivent parfois de nos besoins. Si, pour ma part, la grâce a primauté dans toutes choses qui soient, elle nous rappelle néanmoins à quel point notre contexte est important lorsqu’on tente de discerner la volonté du Seigneur. Dans une situation où quelqu’un vit dans un monde où les grands systèmes cultivent la violence et l’iniquité, ne nous étonnons pas de voir apparaître chez lui un désir de rétribution. Qui d’entre nous, dans un tel contexte, ne serait pas tenté d’attribuer à Dieu l’exercice d’une justice punitive où les bons sont récompensés et où les méchants sont punis ?
Cette conception du jugement comme justice punitive nous rappelle à quel point nous pensons et décrivons bien souvent Dieu selon nos inclinaisons tantôt conscientes tantôt inconscientes. Notre besoin de justice colore notre conception du monde à venir et de ses particularités.
Voilà pourquoi, il faut avancer avec prudence lorsque nous essayons de dire en quoi consiste le monde promis. Nous sommes des êtres souffrants qui restent bien souvent sans force devant le mal, d’où notre dépendance dans le Seigneur qui reste l’au-delà de tout. Contre les méchants, contre les exploiteurs, il n’y a que Dieu, quelque part, qui peut renverser une fois pour toutes l’ordre de ce monde. Non pas à notre manière, mais à la sienne et la sienne seule.
Ultimement, il nous faut être prudents dans nos conceptions de Dieu pour ne pas lui imposer nos angoisses et nos besoins primaires. Cultivons plutôt la sagesse quant à reconnaître notre condition d’êtres de chair et de sang. Recherchons la justice conformément à l’Évangile et résistons au mal, mais ne perdons pas de vue la grâce du Seigneur qui dépasse toutes nos préconceptions.
Frères et sœurs dans le Christ, Dieu fait du neuf. Un nouveau monde vient tandis que l’ancien disparaîtra avec nos angoisses. D’ici là, le Seigneur nous garde et nous solidifie dans nos combats de tous les jours. Oeuvrons du mieux que nous le pouvons avec les moyens que nous avons tout en reconnaissant que, par la grâce de Dieu, la nouvelle Jérusalem advient.
Amen
[1] https://www.lapresse.ca/international/2022-01-17/rapport-sur-les-inegalites/de-plus-en-plus-riches-de-plus-en-plus-pauvres.php