Comment savoir si une personne est crédible?

Mathieu 23 : 1-12

J’aimerais débuter ma réflexion par une petite parenthèse explicative.  On m’a enseigné au collège théologique de ne jamais faire cela, mais une fois n’est pas coutume.  Au temps de Jésus, il existait plusieurs groupes à l’intérieur du Judaïsme qui proclamaient différentes idéologies, théologies et modes de vie.  En fait, la situation n’était pas si différente du christianisme actuel dans lequel plusieurs Églises différentes se ressemblent tout en n’étant pas tout à fait pareilles.  Cependant, au moment de l’écriture de l’évangile selon Matthieu, environ 50 ans après la mort de Jésus, la société juive était plongée dans une profonde crise identitaire.  La conquête de Jérusalem par l’armée romaine et destruction de son Temple a complètement déstabilisé la vie religieuse de cette époque.  D’après ce que nous pouvons en comprendre, deux grands groupes essaient de s’imposer pour reconstruire la foi juive sur ces ruines : les pharisiens et le mouvement des disciples de Jésus.  Alors, l’évangile selon Matthieu est teinté par cette chicane de famille.  Pour s’élever au-dessus de la mêlée, parfois un groupe peut être tenté de miner la crédibilité d’un autre.  La nature humaine est ainsi faite. Fin de la parenthèse.

Le texte d’aujourd’hui est la conclusion d’un long passage dans lequel Jésus est confronté, dans le Temple de Jérusalem, par de nombreux groupes religieux : les grands prêtres, les anciens du peuple, les pharisiens, les sadducéens, les maîtres de la Loi…  Nous en avons lu quelques extraits au cours des dernières semaines.  Plusieurs chrétiens voient dans cette série d’affrontements verbaux dans ce haut lieu de la foi l’affirmation de la supériorité de Jésus sur les autres sectes juives, voire sur le Judaïsme dans son ensemble.  Personnellement, je n’achète pas cet argument parce que Jésus était juif lui-même et rien ne semble indiquer qu’il tentait de créer une nouvelle religion.  Ces critiques semblent plutôt dénoncer une certaine forme d’hypocrisie de la part d’une élite religieuse qui aimait se draper dans leur piété et leur vertu.

Dans notre extrait, Jésus débute par affirmer clairement que les pharisiens ont l’autorité nécessaire pour enseigner la Loi.  « Accomplissez donc tout ce qu’ils vous disent », dit Jésus.  Cette affirmation peut surprendre certains parce que, trop souvent, nous oublions que les pharisiens étaient des hommes très respectés dans leur société.  L’objectif de ces personnes laïque était d’étendre à la vie de tous les jours les règles de pureté réservées aux prêtres.  Ils voulaient renforcer l’identité juive en mettant l’accent sur la piété.  À première vue, il n’y a aucun mal dans cette approche.  De plus, chacun et chacune est libre de faire sa petite affaire dans son coin.  Le problème des pharisiens résidait dans une recherche d’une place prépondérante dans la société avec les titres et les honneurs qui y sont rattachés.  Ils voulaient imposer leur vision à tous et toutes, sans égard aux conditions spécifiques des individus.  Et là où le bât blessait était leur difficulté à mettre en application tout ce qu’ils prêchaient.  Comme le dit l’expression : les bottines ne suivaient pas les babines.

En lisant ces mots, nous pouvons avoir l’impression d’être exactement à la même place 2 000 ans plus tard.  Plusieurs personnes accusent les Églises et ses membres d’être des hypocrites… et elles n’ont pas vraiment tort.  Le message de Jésus est archisimple : aimer ses ennemis, pardonner sans compter, ne pas juger son prochain, exprimer de la compassion pour les plus vulnérables, être au service de la communauté…  Cependant, il n’est pas exceptionnel de voir de nos jours des représentants officiels de l’Église chrétienne condamner des personnes pour des questions arbitraires, exclure des individus parce qu’il n’adhère pas à la bonne doctrine ou moduler les notions de justice selon la quantité d’argent donné dans une enveloppe.  Remarquez que je ne mentionne même pas ici les nombreux scandales sexuels et les tentatives de camouflages d’abus de toutes sortes révélés ces dernières années.  Comment dire?  Il serait difficile d’être plus déconnecté du message et des valeurs de base véhiculée par Jésus.  Comment pouvons-nous être crédibles aujourd’hui en tant qu’institution si nos actions sont déconnectées de notre message ?

Parfois, notre désir de critiquer les autres pour affirmer notre position et notre supériorité morale nous empêche de constater le désordre dans notre cour arrière.  Nous aimons condamner l’hypocrisie de nos gouvernements et des grandes corporations, mais trop souvent nous manquons l’humilité nécessaire pour nous regarder honnêtement dans le miroir.  Notre but n’est pas d’essayer d’être parfaits en tout point.  L’objectif est plutôt d’essayer de faire concorder nos valeurs et notre foi avec notre mode de vie.  Notre but n’est pas de forcer nos principes religieux sur les autres.  L’objectif est de trouver des moyens d’avoir un impact réel dans la vie des gens.  Notre but n’est pas de rechercher une certaine forme de notoriété en diminuant les autres.  L’objectif est que les personnes autour de nous reconnaissent l’authenticité de notre approche même si elles ne sont pas d’accord avec nous.  Plus simplement, nous sommes invités à nous inspirer des enseignements de Jésus dans nos actions de tous les jours.  Nous sommes appelés à refléter son message partout où nous allons.

Alors, dans notre monde rempli de cynisme et de scandales, comment peut-on déterminer si un croyant ou une croyante est crédible?  En critiquant les pharisiens dans l’évangile selon Matthieu, Jésus nous rappelle que la mesure ne se situe pas exclusivement dans les paroles d’une personne; nous devons regarder également les agissements qui les accompagnent.  Pour paraphraser une publicité bien connue : connaître les écritures, c’est bien.  Essayer de les vivre tous les jours, c’est mieux.  Amen.

* Fares Hamouche, unsplash.com