Doux Jésus! Quelle sainte colère!

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Jean 2 : 13-21

Consternation dans nos bons vieux pays. Mentionnons les quelques moments de farce qui nous ont été servis au cours des deux dernières semaines à la télévision : non seulement la réélection de Donald devient peu à peu une potentielle réalité, mais il y a aussi notre Vladimir qui brandit déjà l’emploi de l’arme nucléaire pour dissuader tout engagement militaire en faveur de l’Ukraine. Même le PDG de Keloggs Canada fit sa grande sortie. Dans toute sa sagesse, il a dit en entrevue qu’un bol de céréales constituait un excellent souper pour les familles à faibles revenues. Frères et sœurs, mettons-nous désormais aux fruitloops alors que notre société s’enfonce dans la pauvreté et que la création souffre sous le poids de la guerre et de l’exploitation.

Pendant ce temps, dans nos rues, dans nos vies… Parfois doux, parfois intransigeant, l’appel à la réforme surgit de toutes parts. Marches pour le climat, grève des enseignants et autres coups d’éclat font la une de nos journaux. Les femens et les militants écologistes ne sont pas en reste non plus. Et si Dieu nous parlait en ce moment, à travers ce chaos à la fois lointain et tout près de nous ? Et si Dieu, oui, nous parlait ?

« La fête juive de la Pâque était proche et Jésus monta donc à Jérusalem. » La Pâque juive, une fête d’action de grâce s’enracinant dans le livre de l’Exode. Un livre aux multiples rebondissements nous racontant l’action la plus manifeste de Dieu dans l’histoire sainte. Souvenons-nous un instant de cet épisode de la sortie d’Égypte. Celle-ci marqua une libération pour le peuple réduit à l’esclavage sous le pouvoir de Pharaon. Dans la peine et la souffrance, les Hébreux firent expérience d’un Dieu leur étant fidèle, et ce, jusqu’à accomplir de redoutables prodiges contre leurs ennemis. Après avoir ravagé le pays à partir des fameuses dix plaies d’Égypte, Dieu ordonna au peuple de partir en toute hâte. Ainsi, en sortant de la « maison d’esclavage », le Seigneur promit une terre extraordinaire où nous pourrions vivre dans sa grâce pour toujours. Dans un coup d’éclat, le destin d’un peuple changea.

Alors que la commémoration de la sortie d’Égypte approche et que le peuple s’apprête à célébrer la Pâque, voici que Jésus se rend au temple. Pour faire quoi exactement ? On ne le sait pas, mais toujours en est-il que le texte nous raconte que, aussitôt arrivé, aussitôt une sainte colère s’empare de Jésus. Son indignation fait grand éclat contre les échangeurs de monnaie ainsi que les marchands d’animaux dédiés aux sacrifices. Imaginez donc la scène de marchandage ! Bœufs, moutons et colombes, le choix est vôtre selon les ressources financières de votre maisonnée. Grands prix, petits prix. Il est peut-être même possible de prendre une colombe à crédit si vous êtes trop pauvre. Vous êtes un étranger, un immigrant ? Pas de problème, voilà la possibilité d’échanger votre monnaie romaine pour quelques deniers… selon bien sûr le taux de change du moment ! Qui veut honorer Dieu est mieux d’offrir quelque chose au temple. Vaut mieux un sacrifice que rien du tout. Toutefois, vaut mieux offrir un bœuf de riche qu’une colombe de pauvres, ça, c’est sûr !

Jésus pète sa coche ; il se fait un fouet et s’adresse spécifiquement aux marchands de colombes, les accusant d’avoir fait de la maison de son père une maison de commerce. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère. Il faut dire que son monde à lui aussi ne va pas trop bien. On peut penser ici à l’occupation romaine ainsi que les interminables dramas théologiques qui divisent le judaïsme de son époque. Conflit entre les pharisiens et les sadducéens au sujet de la résurrection ou encore cette intéressante divergence entre la religion sacrificielle du temple et celle de la synagogue, davantage orientée vers la vie de prière, plus ouverte et universelle. Voyant une opportunité pour prendre parole et prendre position pour la deuxième option, Jésus renverse les tables et chasse les marchands. En opposition à une forme de marchandage où l’on charme un Dieu friand des bonnes odeurs de chairs brûlées, Jésus propose plutôt un Dieu qui s’incarne parmi les vivants, une spiritualité du corps où l’on rencontre le Seigneur en toute simplicité. Un Dieu qui vit avec nous nos peines, nos joies et nos indignations par rapport aux échecs du monde. Un Dieu qui voit au-delà des apparences et qui refuse toutes demi-mesures et toute participation aux iniquités.

Nous avons bien raison de nous sentir concernés par la sainte colère de notre frère. Lorsque nous regardons la guerre dans notre monde, que nous entendons toutes sortes de mythomanes défiler sur les tapis rouges sangs de la politique internationale, nous aussi, nous pouvons être tentés de renverser les tables. Nous désirons bâtir une société juste sous l’inspiration de l’Esprit. Il faut avouer toutefois que, d’une manière paradoxale, l’Esprit nous porte souvent à ressentir de l’indignation devant l’état de notre monde. Impossible alors de choisir le silence ou le statu quo, l’Esprit nous invitant au contraire à ouvrir un espace pour la parole afin que, comme des prophètes, nous invitions le peuple à se remettre en question.

À ce propos, la destruction du temple de Jérusalem en l’an 70 marquera un tournant majeur. Les premières communautés chrétiennes verront en cet évènement l’accomplissement des paroles de Jésus. N’ayant plus de temple pour offrir des holocaustes, le judaïsme entre dans une nouvelle ère où la prière et l’étude des Écritures seront mises de l’avant. On cherche alors à comprendre sa culture et sa foi, prenant à la synagogue un temps d’arrêt avec Dieu pour mieux se questionner sur l’essentiel. Ce jour là où Jésus fit son coup d’éclat au temple de Jérusalem, le temps de la religion sacrificielle était déjà compté.

Tout cela peut nous porter à réfléchir sur notre condition actuelle. Peut-être que ce passage des Écritures nous appelle à prendre exemple sur Jésus afin d’être aussi zélés que lui pour la « maison du père » qui est aussi notre maison à chacun de nous. Loin de moi l’idée de légitimer les coups d’éclat contre une peinture de Van Gogh, mais force est d’admettre que ces actes peuvent faire surgir en nous des questions dérangeantes, mais ô combien légitimes. En effet, qu’est-ce que vaut une peinture alors que l’humanité est dans d’atroces souffrances et que la Création s’égrène chaque jour ? Que valent les tournesols de Van Gogh devant les catastrophes climatiques, les famines, l’exploitation des pauvres, des femmes, des enfants ?

En tant que chrétiens, nous ne devrions pas avoir peur des intrigues politiques que fomentent les puissants de ce monde. Craignons plutôt de manquer le train, de manquer d’audace comme chrétiens pour dénoncer les paroles trompeuses qui vont à l’encontre de la grâce librement donnée par Dieu. En ce temps de montée vers Pâques, il me semble juste de croire que l’indignation peut porter en elle une Parole prophétique. Dans la colère de Jésus, dans la colère des écologistes et de tous les militants de ce monde, nous pouvons percevoir la trace d’un souci pour le bien et le vrai. En prenant conscience de cette nécessité d’un bon brassage d’idées, j’ose terminer avec ceci : grâce soit rendue à Dieu pour nos montées de lait vis-à-vis de l’injustice. Grâce soit rendue à Dieu lorsque, face à l’esprit trompeur, nous incarnons notre foi à travers des coups d’éclat. Grâce lui soit rendue, oui, pour toutes ces occasions où nous nous engageons avec passion pour la Création ainsi que les vivants qui l’a peuple. Amen