En souvenir d’Egypte
Deutéronome 5 : 12 – 15
Si vous me posez la question ce soir à savoir ce qui m’intrigue dans toute cette histoire-là de sabbat, ça serait sûrement ce fameux souvenir d’Égypte sur lequel insiste tant Dieu. « Tu te souviendras, dit-il, que tu as été esclave en Égypte, et que je t’en ai fait sortir grâce à ma puissance irrésistible. » Comment ça se fait que tout-le-monde doit arrêter leur ouvrage pour se rappeler de leur propre esclavage ? Qu’est-ce que ça veut dire cette « revendication » du repos et du souvenir ? Pour moi… c’est « irrésistible » d’examiner l’actualité de notre coin de pays, question d’y faire sens un peu.
Vous n’êtes peut-être pas sans savoir que, en ce moment même, nos chers bibliothécaires de la ville de Québec sont partis en grève. Un repos commandé pour tout-le-monde, forcément revendicateur, qui dure depuis mars dernier. Imaginez-vous donc : mars dernier !
Une connaissance me racontait l’autre jour qu’elle est même allée se renseigner auprès de son député. Elle voulait connaître les revendications des employés et voir ce qui serait proposé comme ajustements de la part de notre bon gouvernement. Le député en question – dans toute sa sagesse – lui aurait indiqué qu’il n’y avait pas de presse à régler le cas, que ça n’intéressait pas grand monde, de toute façon, les bibliothèques. Ça l’air que la culture ce n’est pas un grand enjeu électoral, hein ! Étonnante réponse que celle-là, bien que plutôt prévisible quand on réfléchie deux minutes aux règles qui régissent de notre monde et avec lesquelles il faut se débattre à certaines occasions.
Je sais que je prêche à des gens qui sont au courant de tout ça. À Sainte-Claire, on a des enseignants, des pasteurs et d’autres professionnels qui ont passé par plusieurs luttes ! Il ne fait aucun doute pour moi que vous savez à quel point ça peut être difficile. Difficile de traiter avec nos Égyptes qui gèrent le monde selon une logique mercantile et électorale. Ça… ça touche nos vies, veux veux pas. Plusieurs d’entre nous sont payés selon l’offre, la demande et – bien sûr – les merveilleuses subventions. Les structures pyramidales décident souvent de notre avenir et notre aisance.
C’est peu dire que, comme êtres humains, nous sommes soumis à divers systèmes économiques desquels on dépend de manière souvent involontaire. Des systèmes pas toujours justes, qui nous avantagent et nous désavantagent selon des règles arbitraires. Mais ça, ce n’est pas nouveau dans l’histoire de l’humanité, n’est-ce pas ? Nous, le peuple de Dieu, connaissons bien cette Égypte-là dans toutes ses manifestations. C’est en fait écrit dans notre ADN judéo-chrétien. Suffit de prendre un p’tit temps d’arrêt pour nous rappeler.
Souvenons-nous… Souvenons-nous comment la Bible, à travers plusieurs histoires et personnages, nous raconte nos esclavages passés. On se souvient évidemment des Hébreux en Égypte puis la promesse de Dieu qui annonça la libération de son peuple par l’entremise de Moïse. On connaît aussi les épîtres de Paul nous indiquant comment Dieu nous délivra de la mort et du péché par l’entremise de son fils ou encore Jésus, dans les Évangiles, qui libère des personnes possédées et qui nous invite à célébrer la Sainte-Cène en souvenir de lui. Chose promise du Seigneur, chose accordée. Mais, aux yeux des Écritures, chose accomplie sous-entends aussi… chose à venir et à se souvenir. Dieu sait que le peuple des saints est un habitué des voyages en Égypte. Il connaît nos guerres plus ou moins récentes… et à venir. Nos récessions, nos systèmes capitalistes. Nos échecs personnels et collectifs.
À la lumière du livre du Deutéronome, j’ose croire que le sabbat constitue non pas un devoir strictement religieux, mais aussi un devoir de mémoire qui donne sur la conscience sociale. En nous souvenant de l’exploitation que nous avons vécue comme peuple et que nous vivons encore aujourd’hui, on se rappelle par le fait même la promesse irrésistible d’un Dieu libérateur.
C’est notre libération que Dieu nous invite à incarner par le sabbat. Notre libération à nous qui avons nous-mêmes créés des Égyptes dans lesquels on arrive plus à sortir… sinon par la grâce de Dieu. Nous, autant le maître que l’esclave, autant l’homme que la femme, le petit ou le grand avons besoin d’une journée de sabbat. Une bonne journée de piquetage, tiens, nous rappelant que nous sommes tous égaux dans notre humanité, notre souffrance et notre besoin de délivrance.
Par le sabbat et toutes les formes de repos que nous prenons pour soi et les autres, Dieu nous appelle à vivre une certaine distance si ce n’est pas pour dire une résistance contre les forces qui nous oppriment. Pas besoin de coup d’éclat pour renverser les pyramides, mais un temps d’arrêt. Un temps de relecture et de réflexions qui donne des ailes ! Un temps de non-participation qui signifie non pas seulement notre espérance en une libération, mais aussi un moment où notre corps au repos manifeste un « non » catégorique contre l’injustice et la pression de tous les Pharaons d’ce monde.
En ce sens-là, le sabbat a une dimension communautaire et politique. Il est en quelque sorte une grève instaurée par Dieu face au pouvoir passé de l’Égypte, mais qui continue à se répercuter dans le présent.
Le sabbat, ça ne change peut-être pas une vie. Ça ne fait pas disparaître nos problèmes non plus. Mais ça nous donne la possibilité de prendre du recul pour mieux évoquer de nouvelles possibilités avec un esprit tranquille ; regarder un avenir avec des yeux reposés. Proclamer que le Seigneur nous a fait un jour sortir d’Égypte par son irrésistible puissance nous mène aussi à proclamer qu’il se manifesta et se manifeste encore, là, maintenant, dans nos repos de toutes sortes.
Ce n’est pas un peu pour ça, d’ailleurs que Sainte-Claire s’est rassemblé aujourd’hui sur Zoom ?
Dans ce cas, j’espère que ce p’tit moment de sabbat en notre compagnie vous a nourri un peu. Que la grâce de Dieu nous accompagne tout au long des jours qu’elle nous donne la force de rêver et nous engager pour la liberté, la planète, le droit au logement… l’équité des genres, la justice, le droit salarial… Que toutes nos lutes, en paroles ou en toute discrétion, dans le mouvement ou le repos, trouvent leur accomplissement en celui qui nous libère de sa puissance… irrésistible !
Amen