Exode 2: 1-10 – 23 août 2020
J’ai développé une affection particulière pour ce passage du livre de l’Exode. La raison est que le 10 janvier 2011, après 5 ans de procédures administratives interminables, mon épouse et moi sommes devenus parents. Un jeune garçon né dans un petit village près de Hoa Bihn au Vietnam est entré dans nos vies. Pendant tous ces mois d’attente, nous nous sommes préparés à notre nouveau rôle de parents. Nous avons aussi dû répondre de nombreuses questions et commentaires pas toujours élégants. À l’affirmation : « Vous êtes vraiment généreux! », ma réponse était : « Non, c’est presque le contraire. Nous voulons être parents et nous utilisons tous les moyens à notre disposition pour arriver à nos fins. » À la question : « Combien vous a-t-il coûté? », je répondais qu’il n’était pas une marchandise qu’on achète au magasin, avant d’expliquer aux gens que les coûts de l’adoption internationale est influencé par la couleur de la peau de l’enfant. Cependant, la question à laquelle je n’étais absolument pas préparée est venue d’un petit enfant qui voulait savoir si sa mère biologique qui l’avait abandonnée l’avait aimé.
Le texte de ce soir se situe dans une époque horrible pour les israélites. Quelques générations après leur arrivée en Égypte, ils étaient devenus un peuple nombreux. Le Pharaon de l’époque a commencé à devenir paranoïaque et à avoir peur de la place de ces étrangers dans son royaume. Alors, il les a condamnés aux travaux forcés en espérant que cela allait limiter leur nombre. Constatant son échec, il a ensuite ordonné aux sages-femmes de tuer tous les nouveau-nés mâles des Hébreux. Et lorsqu’il a découvert que ces femmes trouvaient des façons de contourner ses ordres, le Pharaon a opté pour une position encore plus radicale. Il a demandé à tout son peuple de jeter tous les garçons israélites dans le Nil afin de les tuer.
C’est dans ce contexte que débute le passage de ce soir; une histoire à première vue on ne peut plus banale. Une femme de la tribu de Lévi devient enceinte et accouche d’un garçon. Mais cet heureux événement en période de génocide n’est rien de moins qu’une catastrophe. Elle tente bien de cacher son enfant pendant un temps, mais la tâche était impossible. Elle se rend à l’évidence que le seul moyen de sauver son fils est de rendre étanche une corbeille en tige de papyrus, d’y déposer son enfant et de le laisser parmi les roseaux au bord du Nil. Elle doit effectuer le sacrifice ultime pour une mère. Elle doit abandonner son petit garçon pour le sauver. Elle doit trouver le courage de placer les besoins de son enfant avant les siens. Elle doit se résoudre à accepter que l’avenir de son fils passe par l’espoir de meilleures conditions offerts par d’autres personnes.
Malgré des milliers d’années d’évolution et d’avancements sociales, la vie de plusieurs millions d’êtres humains est menacée tous les jours en raison de génocides, de conflits armés ou de régimes totalitaires. Des hommes, des femmes et des enfants sont réduits à l’indigence. Ces personnes sont trop souvent confrontées à des choix déchirants et inhumains.
Et si cette réalité s’applique qu’à une minorité, nous sommes cependant tous et toutes affectées par différentes formes de violence, notre système économique étant peut-être l’exemple le plus patent. La présente crise n’a pas accentué les inégalités dans nos sociétés. Elle a plutôt jeté la lumière sur une réalité dont on ne veut pas voir. La cruauté de la pauvreté a été révélée au grand jour. La brisure du contrat social supposant nous unir a été mise en évidence. L’acceptation tacite de la misère des uns pour que les autres jouissent d’un meilleur mode de vie a été confirmée. Combien sont morts pour protéger la santé de l’économie? Combien de personnes sont emprisonnées pour des crimes reliés à la misère? Combien de femmes se font avorter parce qu’elles n’ont pas les ressources monétaires, familiales ou psychologiques pour s’occuper d’un enfant? Combien de choix déchirants certaines personnes doivent-elles faire dans un monde foncièrement injuste ? La pauvreté est une violence tellement lente et insidieuse que l’on n’y porte même pas attention.
En face de toutes ces oppressions, humiliations et désespoirs, se dressent des personnes qui continuent à espérer malgré tout en un monde meilleur. Même si la situation paraît désespérée et sans issue, des individus souvent invisibles dans nos sociétés continuent à lutter pour leur survie et celles de leurs proches. Ce sont tous ces femmes de ménage, chauffeurs de taxi, employés d’entrepôts et préposées aux bénéficiaires, nés dans un autre pays et bardés de diplômes non reconnus, qui ont fait le sacrifice de tout laissé derrière pour assurer un meilleur avenir à leurs enfants. Ce sont ces personnes qui conservent leur foi en Dieu malgré les épreuves et les revers. Ce sont toutes ces personnes des révolutions à travers de simples actes de désobéissances.
Est-ce que les mères qui donnent leur enfant en adoption les aiment vraiment? L’histoire de la mère de Moïse me fait croire que oui. Cette femme a choisi de mettre de côté son bonheur, ses besoins, ses désirs pour le bien-être d’un petit être humain pas encore capable de parler. Malgré la crise et la violence qui l’entourait, elle a cru que Dieu allait entendre son désespoir et protéger ce qui lui était le plus précieux. Dans une situation désespérée, elle manifeste un amour plus profond que je puisse imaginer. Amen.