La figure de ce monde passe

Marc 1 : 14-20

« la figure de ce monde passe » disait Paul. Peut-être que certain ne s’en ont pas aperçu, mais, à l’Église Sainte-Claire, au fil des trois ou quatre dernières années, nous sommes passé d’une liturgie à l’autre, fait des tests plus ou moins concluants. On a même essayé, un moment donné, d’avoir des Notre Père différents chaque dimanche ! Des réussites, des coups so-so aussi. Reste que, à travers toutes ces tentatives, nous avons vécu des évènements décisifs pour notre communauté, des changements collectifs et individuels. 

Nous avons tous nos moments d’instabilité, nos périodes de crise. Église incluse. Même Jésus a eu les siennes. Rappelons-nous comment celui-ci était allé voir Jean le baptiste afin de se faire baptiser comme tous les autres dans le Jourdain. Certainement, son cousin était une personne importante dans son chemin de foi. On parle assez de Jean le baptiste dans l’Évangile pour le deviner. Et… quel malheur pour Jésus que l’ arrestation de son cousin ainsi que sa mise à mort à venir. 

Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »

Il est assez étrange d’entendre Jésus annoncer ainsi la bonne nouvelle, n’est-ce pas ? Vous remarquerez d’ailleurs que ce n’est pas la Bonne Nouvelle de Jésus Christ qu’il communique, mais bien celle de Dieu et dont il est, en toute vraisemblance, le serviteur. Jésus se fait messager de la grâce divine et non celui par qui provient la grâce. C’est tout d’abord dans une humilité fort intrigante qu’il se met en route, répondant à l’appel qu’il a reçu de Dieu.

Et, d’ailleurs, vous l’avez certainement remarqué, mais Jésus prêche un peu à la manière de Jean le baptiste. Il reprend ses mots pleins d’assurance, sa prédication aux accents de la fin des temps. Une des étapes importantes de ma vie de foi et de ma transition vers le protestantisme a été d’en apprendre un peu plus sur ce qu’on appelle le fameux « Jésus de l’histoire »

Je me souviens avoir entendu un certain historien comme Daniel Marguerat mentionner que Jésus aurait été probablement lui-même un disciple de Jean le baptiste, que c’est de lui qu’il aurait peut-être reçu une éducation théologique. On peut souscrire ou non à cette hypothèse-là, mais je dois avouer qu’une telle perspective aurait été quasiment inimaginable dans la culture religieuse de mon milieu. Elle aurait probablement été même scandaleuse. Mais, plutôt que de me mettre en colère contre elle, ce genre d’hypothèse m’a plutôt aidé à sortir de ma coquille et de mes zones de confort. Je ne vous dit pas que j’ai bien reçu l’idée de Daniel Marguerat en premier lieu, mais que j’ai pu cheminer dans l’inconfort. Ce que je veux dire ici c’est que les doutes, les questionnements, les séparations… bref, les crises sont parfois le petit push, la petite poussée dans le dos qu’on a besoin pour avancer sur le chemin qui est nôtre.

En reconnaissant Jésus comme un être humain par qui Dieu se révèle – être humain qui grandit, apprend, se trompe… – on en vient à reconnaître que Dieu s’est bel et bien rapproché de nous. En Jésus, il a vécu dans l’humanité, parmi les siens, en partageant nos joies et nos misères. Dès lors, à même mon inconfort, je me suis retrouvé en lui, dans ce choix de partir, à même une situation de crise comme l’arrestation de Jean le baptiste. Mon cousin n’est pas mort, mais je n’étais plus bien où j’étais à l’époque. 

En 2021, mon but était de devenir prêtre. Cependant, je me suis aperçu peu à peu que ce n’était pas possible, que le mariage était finalement impensable pour toutes sortes de raisons. Ça marchait juste pas. Maudit que c’est tough de voir des rêves ou des perspectives mourir. Cependant, il ne faut pas penser que la crise donne sur la mort. Elle donne l’impression de, certes, mais… elle mène toujours quelque part … quelque part qui peut sembler inquiétant de prime abord, mais quelque part quand même. 

Perdre un être cher comme Jean le baptiste ou réaliser comme moi qu’il était nécessaire de se séparer de sa communauté sont des situations qui nous obligent à faire des choix, à faire un saut de l’ange. Je dirais même que c’est une étape importante dans notre prise de maturité, un peu comme les enfants qui quittent la maison. Et des décisions d’mêmes, on en a tous fait. La liste serait longue pour chacun de nous. 

Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »

Cet élan missionnaire initié par Jésus participe à son histoire personnelle comme à la nôtre. Il a dit « oui » à sa mission comme nous sommes invités à nous mettre nous aussi en route. Bien que nous ne choisissons pas nos malheurs, reste que nous avons la liberté du sens, de la direction vers laquelle nous avançons. Dieu fait bien les choses, car même si nous traversons une situation pénible, il lui est toujours possible de tirer son épingle du jeu… mais jamais sans notre accord. Vous savez, Dieu revient toujours vers nous pour sonner les cloches, mais ne commet jamais de viol spirituel. 

Autant Jésus, vous et moi avons connu des changements importants dans notre vie. Des changements parfois inattendus, parfois même non-volontaires. Douloureux, qui nous ont laissés exsangues. Toutefois, comme Jésus, ces changements nous ont menés quelque part et font parti aujourd’hui non pas seulement de notre histoire individuelle, mais surtout de notre histoire collective. Nous nous sommes converties lors des crises de la vie, nous avons redirigé notre regard vers un autre horizon. Oui, j’ai changé. L’Église entière – et pas juste Sainte-Claire – est en pleine transition et tâtonne de droite à gauche pour se renouveler. Des transitions, des deuils, des pertes de repères ici et là… ça fait intégralement de notre histoire à tous. 

Toutes les routes mènent quelque part ; il n’y a pas de cul-de-sac à proprement dit dans l’existence… surtout lorsque nous sommes chrétiens et croyons que la mort n’aura jamais le dernier mot. N’ayons crainte devant les changements qui surgissent, les crises qui se multiplient et marchons tous ensemble. Soyons une bande de disciples qui partagent un peu d’espérance dans ce monde qui passe. Mettons-nous à la suite de Jésus, tient ! Mais… encore mieux : allons donc chercher nous aussi des disciples avec qui partager nos élans. Faisons connaître nos choix, la voie qui est la nôtre. Partageons, aimons tendrement, allons faire une offre audacieuse à ceux qui nous entourent et qu’on ne connaît pas. Aussi audacieuse que Jésus qui veut apprendre à une gagne de gars et d’filles comment pêcher des êtres humains. Ça paraît fou, mais la folie aux yeux du monde… c’est un peu notre mission, notre quête. Faith is our business. Pis ça, ça s’fait pas tout seul. Ça s’vit pas tout seul les renversements, mais avec le monde.