La parabole du blé et de l’ivraie (sermon)
Matthieu 13 : 24-30
Qu’est-ce qu’une mauvaise herbe? La réponse à cette question relativement simple n’est pas toujours facile. Par exemple, j’habite en banlieue, le royaume des bungalows et des belles pelouses vertes. Quel est l’ennemi numéro 1 des banlieusards? Le pissenlit, cette fleur qui revient tous les printemps détruire l’image de carte postale que nous voulons présenter à nos voisins. Après des décennies d’herbicides et de désherbage inutile, de plus en plus de gens nous rappellent que 1) la pelouse, le beau Kentucky Bluegrass, n’est pas vraiment adapté à notre climat et 2) au moment de sa fleuraison au début du printemps, le pissenlit est l’une des rares fleurs desquelles les abeilles peuvent se nourrir. D’un point de vue strictement environnemental, le pissenlit n’est pas une mauvaise herbe que nous devons absolument éradiquer.
Nous vivons dans un monde souvent organisé autour d’une conception binaire des choses. Peu importe les lieux ou les époques, les êtres humains semblent rechercher un adversaire pour mieux se définir. Plus que la ligne claire, simple et précise entre « nous » et « eux », mieux que c’est. Par exemple, j’ai grandi à l’époque où nous étions encouragés à détester les méchants communistes qui voulaient détruire notre monde de vie et nos libertés. Dans nos Églises, cette bataille entre les forces du bien et du mal se manifeste entre l’opposition entre notre appel à servir Dieu et le reste du monde dépourvu de vraies valeurs ou l’affrontement entre les hérétiques qui sont dans l’erreur et ceux et celles qui ont vraiment compris le message de Jésus… comme nous, bien sûr.
Ceci nous amène au texte d’aujourd’hui tiré de l’évangile selon Matthieu dans lequel Jésus nous offre une autre parabole agricole. Pour expliquer le concept du royaume des cieux, il parle d’un homme qui a planté de bons grains dans son champ. Une nuit, un ennemi vient semer de la mauvaise herbe dans le champ, la tradition parle d’ivraie, et il se sauve par la suite. Lorsque les serviteurs se rendent compte du méfait, ils demandent au maître de leur donner la permission d’arracher les mauvaises herbes. Laisser aller cette contamination est contraire à toutes les règles de base de l’agriculture. Pourtant, le maître leur répond de ne rien faire de peur qu’ils arrachent également le bon blé. Au moment de la moisson, ils seront en mesure de faire le tri.
Cette parabole révèle que les choses sont parfois plus complexes que nous aimerions. Nous avons souvent entendu parler du royaume des cieux comme un lieu et un moment où tous les enseignements de Dieu seraient appliqués. Les êtres humains vivraient dans une sorte de paradis. Cependant, dans le texte d’aujourd’hui, Jésus n’affirme pas que le royaume de Dieu se réalise au moment de la victoire finale quand le bon blé est engrangé et la mauvaise herbe est brûlée. Le royaume des cieux débute au moment où un homme sème du bon grain dans son champ. À l’intérieur du royaume, dans ce champ, des ennemis souvent anonymes et parfois même invisibles ont la capacité de planter de mauvaises herbes qui nuisent aux récoltes. Malgré la nature nocive de la mauvaise herbe, le maître choisi de ne pas intervenir laissant place à cette coexistence entre les forces du bien et du mal qui n’est pas une erreur ou un accident, mais une réalité dont nous avons souvent de la difficulté à accepter.
Lorsque nous sommes confrontés à toutes les atrocités de notre monde, lorsque l’oppression, la cruauté ou la souffrance se produit sous nos yeux, nous voulons intervenir. Ceci est une bonne chose. Cependant, nous devons être prudents avant de sauter aux conclusions trop rapidement. Parfois, nos actions inspirées par des sentiments nobles, peuvent créer davantage de tords. Les notions de bien et de mal sont beaucoup plus fluides et confuses que nous le voudrions. Trop souvent, nous ne possédons pas toutes les données et les informations pour juger notre prochain. Nos perceptions sont souvent influencées par nos biais cognitifs. Nous pouvons confondre la notion de bien avec nos préférences personnelles. Une personne ou un groupe peut-il affirmer posséder tous les outils, LA vérité totale et éternelle pour juger ce qui est bon et ce qui doit être jeté?
Dans ces situations souvent très complexes, nous sommes invités à ne pas nous laisser distraire par toutes les mauvaises herbes qui peuvent pousser dans le royaume que nous essayons de construire. Notre mission est de continuer de planter du bon grain, peu importe les circonstances. Nous sommes appelés à nourrir la terre et d’arroser toutes les pousses, sans exception. Nous devons surtout résister à la tentation de désherber le champ, de juger et exclure certaines personnes. Il est tellement facile d’affirmer : « Seigneur, tu peux me faire confiance. Je sais différencier le bon grain du mauvais. Laisse-moi éradiquer ceux et celles qui n’ont pas d’affaires ici. Tu vas voir ça va aller vite. » Nous devons nous souvenir constamment que le champ ne nous appartient pas. Le royaume des cieux relève de Dieu. C’est à Dieu de décider quels sont les épis dignes d’être conservés et les autres qu’il faut écarter.
Nous pouvons commettre des erreurs lorsque nous voulons agir hâtivement. Dans une autre parabole de Jésus, un homme refuse d’arracher les mauvaises herbes plantées dans son champ parce que ces serviteurs pourraient enlever les bons plans. Malgré notre désir de construire le royaume des cieux le plus rapidement possible, nous sommes invités à faire confiance en Dieu, même lorsque le bon blé et les pissenlits cohabitent. Amen.
*Nine Koepfer, unsplash.com