Nos bonnes actions sont-elles importantes? (sermon)
Matthieu 13 : 31-33, 44-52
Chaque famille a ses traditions. Du côté de mon père, c’était mon grand-père qui faisait et cuisait le pain, surtout après le grave accident de ma grand-mère. D’ailleurs, je possède encore le pétrin qu’il utilisait pour faire lever son pain. Au début de ma vingtaine, j’ai voulu me joindre à cette tradition familiale. J’ai voulu faire du pain. Je me suis trouvé une recette. J’ai mélangé tous les ingrédients. J’ai commencé à pétrir la pâte. Ce que je ne sais pas et que j’ai découvert ce jour-là, c’est que je suis allergique à la levure. Assez rapidement, mes avant-bras sont devenus tout rouges. Disons que mon projet est tombé à l’eau. Cependant, j’ai pu poursuivre la tradition familiale en quelque sorte en achetant une machine à pain et en faisant attention quand je manipule les ingrédients.
Pour une troisième semaine, notre texte est tiré du chapitre 13 de l’évangile selon Matthieu. Encore une fois, Jésus tente d’expliquer le concept du royaume des cieux à l’aide de paraboles. Cette succession de petites histoires dans notre extrait d’aujourd’hui vise à démontrer le côté spectaculaire et précieux de ce royaume. Bien sûr, Jésus semble exagérer un peu dans sa présentation. Qui, dans la vraie vie, vendrait tout ce qu’il ou elle possède pour acheter une seule perle? Qui, après avoir découvert un trésor, le cache de nouveau et achète le champ au complet? La graine de moutarde n’est pas la plus petite de toutes les semences et elle ne produit pas un arbre dans lequel les oiseaux peuvent faire des nids. D’accord! Cependant, pour maintenir l’attention des gens, une personne doit savoir parfois utiliser quelques superlatifs pour convaincre son auditoire.
Personnellement, je crois que la parabole la plus efficace pour expliquer cette idée du royaume des cieux est celle du levain. En une seule phrase (pas un long sermon de 10 minutes), Jésus affirme que de bien petites choses ont le pouvoir de générer de grands résultats. Un geste, un mot ou une bonne action peut conduire à des répercussions spectaculaires et inattendues. Cette parabole est d’autant plus intéressante qu’elle nous rappelle que le royaume des cieux ne se matérialisera pas soudainement à la suite d’un grand événement qui révèlera la grandeur de Dieu et son plan pour l’humanité. Beaucoup de temps et d’efforts sont nécessaires dans ce cheminement. Les êtres humains doivent s’investir dans ce processus. Nous devons être attentifs pour identifier les bons aliments de base. Nous devons doser les interventions avec soin pour nous assurer que le tout est bien mélangé et calibré. Nous devons apprendre à être patients parce qu’un projet a souvent besoin de temps pour pleinement s’accomplir.
Nous ne savons pas si Jésus a prononcé exactement ces mots et quelle a été la réaction de la foule et des disciples. Cependant, nous connaissons l’auditoire pour lequel ce texte a été couché sur un parchemin. L’évangile selon Matthieu aurait été écrit entre l’année 75 et 100. Quelques décennies se sont écoulées depuis la mort et la résurrection de Jésus. Comme Paul, ces personnes étaient peut-être fermement convaincues du retour imminent du Christ et du début du royaume des cieux sur terre. Malheureusement, le temps passait inexorablement. La grande transformation annoncée par Jésus ne se matérialisait toujours pas. Le doute a dû s’installer dans la tête de plusieurs. Ils et elles se sont peut-être demandé s’ils avaient commis une erreur de croire en cette promesse d’un nouveau monde. Ces premiers croyants avaient sûrement besoin des quelques mots d’encouragement qui les motiveraient à garder le cap.
La force de l’extrait d’aujourd’hui réside dans l’affirmation que le processus menant à de grands résultats est souvent invisible. Nous ne connaissons pas les répercussions dans la vie d’autre personne lorsque nous lui sourions, l’aidons à transporter son épicerie ou prenons quelques secondes pour l’écouter. Cette parabole nous rappelle que tous les efforts que nous déployons tous les jours ne sont pas perdus. De la même façon que nous n’avons pas besoin de comprendre exactement le processus chimique qui permet à la levure de transformer de la farine en pain, nous n’avons pas besoin de comprendre les mécanismes menant à la transformation progressive de notre monde. Même si nous n’en voyons pas les manifestations tangibles, nous pouvons croire que le pardon, la générosité, l’ouverture à l’autre et la prière ont le pouvoir de créer un meilleur monde pour tous et toutes.
Aujourd’hui, certaines personnes peuvent considérer comme futiles les mots de Jésus lorsque nous regardons la situation de notre monde. Où est ce merveilleux royaume des cieux promis il y a deux mille ans? Parfois, nous sommes tentés de paraphraser la célèbre phrase latine Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra? Jusqu’à quand, Jésus, abuseras-tu de notre patience? Quand nos efforts seront-ils enfin récompensés? La réalité est que le royaume des cieux requiert une grande dose de foi. Entre le moment initial où les premiers grains de levure sont enfouis dans la farine et celui où la pâte a fini de lever, nous sommes appelés à croire qu’un certain moment est nécessaire, un laps de temps qui ne peut pas s’accélérer ou même se contrôler. Pour cette raison, nous sommes invités à continuer de pétrir la pâte, à continuer notre travail parfois difficile et frustrant, et à continuer à croire que ce qui peut paraitre invisible mène à une transformation.
Après toutes les paraboles du treizième chapitre de l’évangile selon Matthieu, que pouvons-nous comprendre du royaume des cieux annoncé par Jésus? Malgré les apparences, malgré les embûches sur notre chemin et malgré toutes les raisons d’abandonner, le royaume des cieux continue d’avancer. Comme quelques grains de levain réussissent à faire lever la pâte du pain, nos actions, même les plus petites et insignifiantes, peuvent amorcer un processus de transformation spectaculaire. Amen.
*Sasin Tipchai, unsplash.com