Notre histoire

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Matthieu 2, 1-12

Alors là ! Le fameux récit de la Nativité… Qu’est-ce qu’on pourrait dire de nouveau sans retomber dans de vieux discours du temps de Mathusalem ? Pour un pasteur comme pour un assidu au culte dominical, cette impression-là de répéter en boucle la même histoire peut nous faire remonter une certaine « écoeurantite ». Et oui, qui d’entre nous ne connaît pas l’histoire des mages qui, guidés par une bonne étoile, viennent rendre hommage à Jésus ? Pourtant, la réponse aurait de quoi nous surprendre tant ce récit-là est tantôt considéré vieillot, tantôt sujet de redécouvertes pour une nouvelle génération. Une nouvelle génération de disciples en quête de repères et de symboles dans leur foi. Ce n’est pas surprenant, dans ce cas, que les récits d’antan regagnent en popularité parmi nos jeunes chercheurs de sens qui les écoutent et les racontent avec des yeux brillants de lumière.

Fort curieux que cet intérêt retrouvé, n’est-ce pas ? Sans pour autant entrer dans une lecture littéraliste, ces jeunes et moins jeunes redécouvrent la valeur de récits bien souvent déconsidérés. On le remarque sans doute à même notre culture québécoise où on sort des « boules à mittes » les contes populaires pour le plaisir des jeunes et moins jeunes. Vous savez probablement de quoi je parle : ces histoires de périples ardus en plein hiver où se révèle, aux yeux des voyageurs, ce qui est divin ou bien démoniaque. Ces récits-là retrouvent leur gloire d’antan. Pourquoi donc ? Il me semble que ce ne soit non pas tant à cause d’un retour à la superstition, mais parce que nous assistons à un retour en grâce des symboles. Ces symboles qui, on ne sait pas toujours pourquoi, nous font vibrer quand même. Sans qu’on puisse l’expliquer facilement, les récits considérés comme invraisemblables évoquent tout de même quelque chose de familier… et font écho avec notre propre histoire. 

Pardonnez-moi cette très longue digression littéraire à propos de contes populaires, mais il me semble qu’on peut trouver ici la raison à savoir pourquoi le récit de la Nativité est encore si actuel. Sans en faire un conte à la Chasse-gallerie, on peut dire que le récit de la Nativité chez Matthieu utilise des symboles qui nous parlent encore droit au coeur. Des symboles qui, pour nous, chrétiens et chrétiennes, nous permettent d’entrer dans le récit de Noël et d’aller à la rencontre de Jésus un peu à la manière des mages venus d’Orient.

Des mages venus d’Orient… Parlant de symboles, attardons-nous quelques instants à ces mystérieux personnages. On ne s’en rend pas nécessairement compte sur le coup, mais l’évocation de l’Orient est un choix pas mal curieux ! Pourquoi ce choix de l’évangéliste ? Comment la présence de ce symbole s’inscrit-elle dans le récit de Noël ? Le judaïsme antique étant peu enclin à connaître en détail les cultures très éloignées de la Judée, il est fort à parier qu’on a affaire davantage ici à un symbole plutôt qu’un lieu précis. Qu’est-ce que ça veut dire pour nous l’Orient ? Qu’est-ce que ça évoque ? Pour mon cas – et c’est peut-être aussi le vôtre -, l’Orient renvoie à un espace merveilleux évoquant la spiritualité et la connaissance de soi et du divin. Quand on m’en parle, je ne peux pas faire autrement que de penser aux philosophies orientales et à leur profondeur, aux paysages fantastiques de Simbad et Aladdin ou encore à la poésie de Rumi qui chante et incarne l’amour de Dieu. À vrais dires, l’Orient, ça veut tout dire… Tout dire, oui, mais, symboliquement, il renvoie surtout à ce qui est mystérieux ainsi qu’à une recherche du divin. En employant ce symbole, le récit de la Nativité s’inscrit vraisemblablement dans l’avènement d’une révélation. Guidés par un astre, les mages quittent leur pays en quête du divin faisant irruption quelque part en Judée. 

D’ailleurs, le terme de « mage » (μάγοις-Mágos en grec) renvoi à une pluralité de significations, dont prêtre ou encore astrologue. Il y a décidément quelque chose ici d’apparenté au domaine de la spiritualité et la religion et qui fait sens pour nous, chrétiens. Pour ma part, j’aime bien voir aussi en eux des voyageurs qui, dans un dépaysement certain, se laissent guider par un appel. Un appel irrésistible, une parole prophétique leur permettant de découvrir et révéler à d’autres la présence de Dieu dans le monde. Déjà, nous avons une excellente prémisse pour un conte populaire… et probablement aussi les raisons du succès du récit de la Nativité ! Quoique l’évangéliste fasse intervenir des personnages mystérieux, il ne nous invite pas moins à nous reconnaître en eux et à nous laisser guider par Dieu dans notre recherche.

Tout au contraire d’Hérode qui cherche à garder main mise sur sa sécurité, les mages s’en remettent à Dieu dans une confiance qui n’est pas sans rappeler tous les sauts de l’ange qu’on a fait au cours de notre vie. Combien de fois avons-nous été guidés par un signe ? À combien de reprises avons-nous trouvé ce que nous cherchions ? Dieu se révèle à ceux et celles qui le cherchent. À Noël, c’est à travers un jeune enfant poussant un cri de vie. Dans les jours ordinaires, c’est à travers un vieillard, un ami ou bien un passant. « Cherchez et vous trouverez, cognez et on vous ouvrira » dira plus tard Jésus à l’âge adulte. 

Dès lors, l’Esprit nous invite à être non seulement sensibles aux symboles, mais aussi à nous mettre continuellement en quête afin de nous laisser transformer par sa subtile présence. Tout au contraire d’Hérode qui chercher à protéger ses privilèges et sa sécurité toute relative, laissons-nous déraciner à la manière des mages. Nous déraciner avec amour pour que l’on puisse rencontrer le tout-autre qui, à même le récit de nos vies, est aussi ce tout-familier.

En tant qu’êtres vivants portés à la vie spirituelle, nous avons tous fait des choix audacieux dans notre vie ; nous avons tous quitté un jour notre confort pour nous mettre en quête. Or, ces mêmes choix ont construit le récit de nos vies qui, appelées par l’Esprit, se sont rejointes pour ne former qu’une seule et même histoire commune. Ces vieux récits d’antan font encore écho aujourd’hui, car, comme chrétiens et chrétiennes, ils nous rassemblent autour de symboles révélant la présence de Dieu.

Aujourd’hui encore, par la grâce du Seigneur, l’histoire sainte continue et une nouvelle année débute pour nous. Comme ces mages bravant l’inconnu, puissions-nous cheminer ensemble grâce à cet « astre de l’Orient » qui nous guide sans cesse sur les pas de Dieu. Qu’il en soit ainsi selon notre foi. 

Bonne épiphanie, bonne année 2025. Amen.