Perdre du temps pour en gagner
Luc 24 : 36 – 48
Il y a quelques temps, j’ai découvert l’expression : osez perdre du temps pour en gagner. Ces mots semblent contradictoires, mais lorsque l’on y pense un peu, cette expression n’est pas si folle. Au travail, quand nous étirons une pause-café avec un collègue ou quand une réunion d’un comité débute 15 minutes en retard parce que l’un des membres raconte son dernier voyage en Europe, il y a une perte de productivité sur le moment. Cependant, ce « temps perdu » permet souvent de mieux se connaître les uns les autres, de tisser des liens avec les personnes et probablement améliorera la réalisation des objectifs parce que les gens se comprennent mieux et se font davantage confiance.
Les dimanches après Pâques offrent une série de récits d’apparition du Christ ressuscité à ces anciens disciples. Aujourd’hui, nous avons un extrait de l’évangile selon Luc qui se situe juste après l’histoire des disciples d’Emmaüs. Après avoir reconnu le Christ, ces deux hommes reviennent immédiatement à Jérusalem pour raconter leur aventure aux autres disciples. Leur récit est à peine terminé que celui-ci apparaît au milieu d’eux et leur dit : « La paix soit avec vous. » Sans surprise, les disciples sont effrayés. Bien sûr, ils veulent croire à toutes les proclamations de la résurrection. Mais… tout cela est trop rapide. Il y a trop d’information à assimiler. Ils n’ont pas le temps d’y voir clair. C’est juste trop.
La suite du récit peut nous paraître un peu bizarre. De nos jours, nous ne croyons plus vraiment aux esprits qui viennent nous visiter après la mort. Cependant, dans le monde gréco-romain de cette époque, ce genre de chose n’était pas considéré comme impossible. Le problème était de s’assurer qu’il s’agissait bel et bien de la bonne personne. C’est pour cette raison que Jésus doit tenter de confirmer son identité. D’abord, il montre à ses disciples ses mains et ses pieds qui portent encore les marques de la crucifixion. Il leur demande de toucher sa chair et son corps meurtri. Et comme si ce n’était pas suffisant, Jésus leur demande de quoi à manger. J’ai de la difficulté à croire que le Christ ressuscité avait une petite fringale. Cependant, en mangeant un poisson grillé, il donne une autre preuve tangible aux disciples qui concluent que c’est bien lui. Il n’y a aucun doute.
Bizarrement, un simple poisson grillé et des plaies symbolisant la torture et la souffrance rassurent les disciples. Leur crainte étant calmée, ils sont maintenant prêts à recevoir les enseignements de leur maître. Le temps que Jésus a choisi de perdre pour établir son identité lui permet maintenant d’en gagner. Jésus peut expliquer à des disciples attentifs comment les récents événements s’inscrivent dans l’accomplissement du grand plan de Dieu. Il leur procure les clés nécessaires pour interpréter les écritures. Il réussit à leur insuffler un peu de courage pour la mission qui les attend.
Pendant de nombreuses années, le modèle d’évangélisation et d’éducation à la foi était basé sur les trois B (en anglais) : Believe, Behave, Belong (croire, agir, appartenir). Pour comprendre le message du Christ, les gens devaient d’abord apprendre les bonnes interprétations à partir de sermons ou de cours. Ensuite, ils devaient apprendre à se conduire comme de bons chrétiens. Finalement, les personnes pouvaient appartenir aux groupes. D’une manière intéressante, ce processus ne correspond pas au déroulement de notre passage. Même s’il a beaucoup d’information à transmettre, le Christ ressuscité ne commence pas par ses explications. Il ose plutôt débuter sa rencontre avec les disciples par l’établissement d’une relation de confiance. Il désire que tous et toutes soient confortables au sein du groupe. Ce n’est que par la suite que l’enseignement théologique débute.
Cette manière de faire représente un énorme défi pour plusieurs d’entre nous parce qu’elle nous confronte à nos pratiques et à nos idées reçues. Nous voulons parler de religions aux gens. Nous voulons dire que Dieu est amour et que Jésus est notre ami. Nous voulons les convaincre à venir dans nos églises et nos communautés de foi parce que nous offrons une théologie inclusive. Et quelle est la réaction des gens habituellement? Ils reculent parce qu’ils ont peur. Et si nous osions suivre l’exemple du Christ ressuscité? Et si nous osions perdre notre temps avec les personnes rencontrées sur notre chemin? Et si nous osions avoir le courage de montrer nos plaies et nos cicatrices plutôt que d’étaler notre savoir et notre piété? Et si nous osions parler de nos doutes et de notre vulnérabilité au lieu d’énumérer nos accomplissements? Et si nous osions nous asseoir avec des gens vulnérables et oubliés par notre société plutôt que de signer un chèque ou produire un dépliant expliquant tous les programmes pouvant les aider? Je crois que cette approche, peu importe la taille ou l’importance des actions posées, pourrait permettre de créer des espaces où tous et toutes pourraient rencontrer le Christ ressuscité. Je crois que durant ces moments, le message de la résurrection pourrait prendre tout son sens. Notre appel à suivre les enseignements de Jésus deviendrait plus clair. Notre mission collective pourrait avancer plus rapidement.
Parfois, il faut oser perdre du temps pour en gagner. Dans l’évangile selon Luc, tout le temps perdu par le Christ ressuscité à établir son identité auprès de ses disciples lui a permis de créer un climat propice à l’explication du sens de sa résurrection. Nous sommes invités à suivre son exemple et à prendre le temps de nous présenter tels que nous sommes afin de construire des relations de confiances avec les autres pour propager les enseignements de Jésus. Amen.