Peut-on choisir sa famille?
Marc 3 : 20 – 35
L’un des champs de recherche de mon épouse est l’étude de la généalogie; pas faire des généalogies, mais étudier les démarches et les objectifs des personnes à la recherche de leurs origines. Au cours des 20 dernières années, elle a constaté une transformation profonde dans cette pratique. Auparavant, les gens épluchaient les registres civils et religieux pour trouver des traces de leurs ancêtres. Maintenant, les personnes se tournent vers des tests d’ADN. Plusieurs compagnies promettent qu’elles peuvent retrouver les origines de nos vrais ancêtres, ceux et celles avec qui nous avons des liens du sang, invalidant ainsi d’autres liens familiaux comme l’adoption, les familles reconstituées ou toutes autres possibilités. Vous pouvez facilement imaginer que j’ai beaucoup de difficulté à accepter cette vision parce que j’appartiens à une famille plurigénétique. Notre fils s’est joint à nous par le processus de l’adoption internationale. Néanmoins, cette préférence pour les liens familiaux traditionnels demeure forte dans notre société. Une personne, qui n’était pas mal intentionnée, m’a déjà dit que ce n’était pas pareil si ton enfant n’est pas vraiment de ton sang. Je peux vous affirmer ce soir que mon fils a maintenant 14 ans et notre relation ressemble à un autre enfant de 14 ans qu’on aurait eu biologiquement.
Le passage d’aujourd’hui est tiré de l’évangile selon Marc. L’auteur de ce texte a la réputation de vouloir faire avancer son récit rapidement. Dans un contexte québécois, nous pourrions le comparer à Denise Filiatrault : pas de temps à perdre; on enchaine; à quelle heure le punch. Notre extrait est situé au troisième chapitre. Jésus a déjà amorcé son ministère. Avec ses disciples, il s’est promené dans les villages de Galilée. Il a guéri des malades, chassé de nombreux démons, et purifié un lépreux. Malgré ses techniques et ses idées un peu inorthodoxes, des gens le suivraient. En bref, Jésus était devenu une célébrité dans sa région.
Un beau jour, Jésus décide de revenir à la maison. Normalement, nous serions en mesure de nous attendre à ce que sa famille l’accueille avec joie; qu’elle soit fière de lui en raison de ses exploits et la foule grandissante qui le suit. Mais non! Ces personnes avec qui il partageait des liens de sang commencent à questionner ses agissements. Sa parenté essaie de s’emparer de lui et affirme qu’il est devenu fou. Elle utilise même des tentatives de manipulations qui ressemblent à : « Jésus, pense à ta pauvre mère qui te cherche. Pourquoi veux-tu lui faire ça? Pourquoi veux-tu attirer toute l’attention sur toi? Pourquoi ne te contentes-tu pas d’une vie ordinaire comme la nôtre? » Derrière tous ces commentaires, les proches de Jésus avaient déjà tiré leurs conclusions. Pour le bien de la famille, il devait arrêter ses folies.
Les défricheurs, les pionnières et les innovateurs affrontent souvent ce genre d’embûche sur leur chemin. J’en parlais dans ma capsule de Vie de pasteur de vendredi dernier. Parfois, malgré les succès de leur proche, plusieurs personnes préfèrent le statu quo. Les idées nouvelles sont souvent mal perçues parce qu’elles menacent le fragile équilibre de l’ordre établi. Peut-être, la famille de Jésus était effrayée parce qu’il défiait les autorités de l’époque. Peut-être, ses proches étaient incapables de voir et d’accepter sa vraie nature. Je me souviens, au collège théologique, un professeur nous avait avertis que plusieurs membres de nos familles et certains de nos amis auraient de la difficulté de nous considérer comme de vrais pasteurs. Il n’avait pas tort.
Comme certains d’entre nous, Jésus a dû faire un choix. La solution surement la plus simple était de rentrer dans le rang afin de se conformer aux normes et aux attentes de sa société. Il pouvait renoncer à son appel pour maintenir de bonnes relations avec sa famille. Cependant, Jésus a choisi de continuer sa mission et d’en assumer pleinement les conséquences. Si certains membres de sa famille étaient incapables de le suivre ou même de l’accepter, tant pis. Tout au long de son chemin, il s’est efforcé à trouver des gens qui partageaient ses valeurs et ensemble ils et elles se sont créé une nouvelle famille. « Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur, ma mère. »
Encore aujourd’hui, beaucoup de personnes sont obligées de se recréer des familles pour toutes sortes de raisons. Nous pouvons penser aux réfugiés politiques forcés de tout abandonner derrière eux et qui cherchent à créer de nouveaux liens dans un pays d’accueil. En ce mois de la Fierté, nous pouvons penser à de trop nombreux adolescents et jeunes adultes reniés par leur famille et qui retrouvent une communauté dans certains quartiers de nos grandes villes. Nous pouvons penser à ceux et celles qui choisissent un modèle différent du couple avec 2,3 enfants dans une société qui valorise encore une certaine forme de normalité issue d’une autre époque. La tentation de juger ces personnes est grande. Mais peut-on vraiment les critiquer à la lumière des difficultés qui les ont poussés dans cette direction? En tant que disciples de Jésus, je crois que nous sommes appelés à continuer ce projet de construire une grande famille, la famille de Dieu, qui transcende les liens politiques, économiques, identitaires et même les liens de sang. Dans cette nouvelle famille recréée, nous sommes invités à devenir des frères et des sœurs dans le Christ. Nous devons nous ouvrir aux personnes dont le parcours est différent du nôtre. Nous travaillons ensemble pour accomplir la volonté de Dieu.
Selon l’expression, nous pouvons choisir nos amis, mais nous ne pouvons pas choisir notre famille. Une semaine avant la fête des Pères, Jésus nous enseigne que les liens de sang ne définissent pas toujours une famille. Nous pouvons créer de nouvelles unités avec des gens qui partagent les mêmes passions et les mêmes aspirations. Nous pouvons établir des liens significatifs avec toutes les personnes qui désirent faire la volonté de Dieu. Amen.