Qui sont les personnes invisibles de notre monde?
Marc 10, 46-52
J’aime affirmer qu’il est possible d’écrire 1000 sermons différents à partir du même passage biblique si un pasteur accorde plus ou moins d’attention à certains détails ou regarde les choses d’une manière différente. Cependant, le texte d’aujourd’hui représente un certain défi. Dans ce court extrait de l’évangile selon Marc, Jésus guérit tout simplement un aveugle. Il ne doit pas cracher par terre, faire de la boue et l’appliquer sur les yeux d’un homme. Il ne se lance pas dans un long enseignement sur l’aveuglement spirituel. Il n’y a même pas à justifier ses actes devant les Pharisiens ou tout autre figure d’autorité. Non! Jésus déclare simplement : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt, l’aveugle retrouve la vue et il suit Jésus sur le chemin. C’est tout! Chercher une idée originale pour aborder ce passage est un peu comme l’équivalent de recevoir seulement des œufs, de la farine et du sucre pour préparer une recette. Ce n’est pas facile de réinventer les grands principes de la gastronomie.
L’une des principales différences entre ce récit et la majorité des histoires de guérison miraculeuse est que nous connaissons le nom de l’aveugle. Dans les quatre évangiles, nous pouvons trouver environ 30 histoires de ces histoires et les malades sont rarement nommés. Peut-être, les auteurs voulaient que toute l’attention demeure sur la personne de Jésus. Néanmoins, ici, nous savons que cet homme se nomme Bartimée. Cet homme était assis à la sortie de la ville de Jéricho, probablement un bon endroit pour demander la charité des passants. Apprenant que Jésus passait par là, il se met à crier: « Fils de David, Jésus, aie pitié de moi! »
Ce geste est un autre élément qui différencie cette histoire des récits de guérison dans les évangiles. Habituellement, ce sont les gens de la foule qui amènent les malades à Jésus. Par exemple, dans le récit de la guérison de l’homme paralytique (dont nous ne connaissons pas le nom), des personnes prennent l’initiative de le faire passer par le toit d’une maison et demandent à Jésus un miracle. Bartimée qui n’a probablement personne pour intercéder en son nom prend l’initiative et exprime à voix haute son besoin. Cet homme, négligé et invisibilisé par sa société, désire retrouver la vue.
Cette requête a dû être rafraichissante pour Jésus. Il n’a pas besoin de jouer aux devinettes. Il n’a pas à se soucier des attentes de la foule ou de ses adversaires. L’affaire paraît très simple. Cependant, les disciples et la foule qui accompagne Jésus voient les choses différemment. Beaucoup disent à cet homme de se la fermer. Pour qui cet aveugle se prend-il? Jésus est devenu quelqu’un d’important. Il ne peut pas interrompre sa mission pour s’occuper de chaque mendiant. Il faut faire les choses dans un certain ordre et c’est à nous, les personnes de son entourage, de gérer l’accès au Maître.
Encore une fois, malgré tous les siècles qui nous séparent de ce récit biblique, l’être humain n’a pas beaucoup changé. Trop de gens dans nos Églises aujourd’hui se comportent comme des gardiens qui veulent contrôler l’accès à nos Églises. Ils et elles veulent déterminer qui peut venir, qui peut prendre les sacrements, qui peut voter durant une assemblée. Ces personnes ne veulent pas que l’ordre établi soit perturbé. Elle envoie le message qu’il faut faire ses preuves avant d’avoir accès à Jésus. Malheureusement, un sentiment qui part d’une bonne intention se transforme trop souvent en message de rejet pour les personnes à l’extérieur d’un cercle de privilégiés.
Combien de fois avons-nous vu des personnes dans le besoin cogner à la porte de nos Églises avant de se faire revirer de bord? Combien de fois de gens en difficulté passent sous notre radar parce qu’ils et elles ne correspondent pas à la bonne catégorie d’individus à aider? Combien doivent se battre pour être simplement entendus et reconnus? Bartimée incarnait l’exclusion de sa société. Il était parmi les plus pauvres des pauvres vivant à la marge de la cité, à la marge du système économique, à la marge de la dignité. Cet homme était à la merci de ceux et celles qui prenaient quelques instants pour le remarquer.
Bartimée, qui n’avait rien à perdre, ne s’est pas laissé arrêter par la foule. Il a redoublé ses efforts. Il crie de plus belle: « Fils de David, aie pitié de moi! » Sa demande est légitime et il veut être reconnu par Jésus. L’aveugle voulait être vu. Alors, Jésus s’est arrêté. Il l’a appelé. Il a lui a dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi? » L’aveugle lui répond plutôt : « Rabbouni, que je retrouve la vue! » Jésus lui dit tout simplement : « Va, ta foi t’a sauvé. »
Trop souvent, nous avons tendance à complexifier les choses. Nous cherchons des processus complexes pour encadrer nos missions. Nous cherchons à définir qui est à l’intérieur ou à l’extérieur de l’institution. Nous avons peur d’être submergés si nous acceptons toutes les demandes d’aide des personnes marginalisées par notre monde. Et si la réponse à toutes nos inquiétudes et nos désirs de contrôle était simplement la foi. Cette foi qui ne solutionne pas toujours nos problèmes, mais qui peut nous aider durant des moments difficiles. Cette foi qui peut nous ouvrir les yeux, les oreilles et le cœur aux réalités difficiles de notre prochain. Cette foi qui peut redonner la dignité aux marginaux. Cette foi qui peut nous entraîner dans un esprit d’abondance.
Le texte d’aujourd’hui présente une vieille histoire encore visible de nos jours, une histoire qui n’aurait peut-être pas eu lieu en raison de l’obstruction des disciples de Jésus. Bartimée a exprimé à voix haute son besoin et Jésus le guérit tout simplement. L’aveugle a été vu et sauvé. Ce genre de miracle est encore à notre portée aujourd’hui si nous apprenons à nous ouvrir aux personnes invisibilisées par sa société. Amen.