Romains 12: 9-21 – sermon – 6 septembre 2020
Je l’ai déjà dit et écrit à plusieurs reprises. Je n’aime pas prêcher sur les épîtres de Paul. Je trouve que ses longues phrases, ses circonvolutions et ses tentatives de rentrer trois principes complexes de christologie en seulement 2 versets rendent ces textes difficiles à comprendre. De plus, étant donné que beaucoup d’Églises fondamentalistes utilisent les lettres de Paul pour définir une moralité et des règles de vie très restrictives, mon esprit de contradiction m’envoie constamment vers d’autres textes bibliques.
Cependant, j’ai décidé de me botter le derrière et de faire un effort cette semaine. J’ai choisi un passage tiré du chapitre 12 de la lettre aux Romains qu’il m’apparaissait simple, clair et précis. « L’amour doit être sincère. » « Détestez le mal. » « Attachez-vous au bien. » On peut difficilement demander mieux comme début de texte. Mais en faisant mes lectures cette semaine, j’ai découvert que plusieurs commentateurs considèrent ce passage difficile à exploiter. Je me suis demandé si j’avais manqué quelque chose. Alors je suis retourné lire le texte. Bon… « soyez patients dans la détresse… »… « Demandez la bénédiction de Dieu pour ceux qui vous persécutent… »… « laissez agir la colère de Dieu, car l’Écriture déclare : « C’est moi qui tirerai vengeance, c’est moi qui paierai de retour, » dit le Seigneur… » Ah! Je vois.
Personnellement, la phrase qui a retenu mon attention est : « Ne rendez à personne le mal pour le mal. » Voilà un merveilleux principe… tellement difficile à appliquer dans la vraie vie. Nous savons que nous sommes appelées à aimer notre prochain comme Dieu nous aime. Nous avons appris que Jésus nous demande d’aimer nos ennemis. Mais, pour l’immense majorité d’entre nous, c’est plus facile à dire qu’à faire parce que nous n’existons pas dans un monde de licornes et de Calinours. Tous les jours, nous vivons des petits et de grands conflits à l’école, au travail ou à la maison. Notre vie en société est remplie de désaccords, de discordes et de différends qui laissent souvent des traces.
Demander à des peuples opprimés, des personnes humiliées ou des victimes de violences physiques, émotionnelles et sexuelles de ne pas répondre au mal par le mal n’est pas chose simple. Lorsque nous nous sentons abusés ou humiliés, nos émotions les plus primaires prennent le dessus et réclament une forme de vengeance. Nous recherchons une forme de proportionnalité. Nous voulons blesser comme nous avons été blessés. Nous souhaitons obtenir justice, la forme de justice de notre société qui punit les crimes et les infractions selon la gravité du tort causé.
La colère à l’intérieur de nous peut nous procurer un sentiment de puissance, mais malheureusement elle n’est pas la meilleure conseillère quand c’est le temps de trouver une solution. Notre jugement est embrouillé. Nous adoptons une vision binaire qui divise le monde en deux catégories : les gentils et les méchants. Sans trop en être pleinement conscients, nous entrons dans un cercle vicieux. Notre colère crée de la haine. Cette haine incite à la revanche envers autrui. Cette personne ressent de la haine qui entraine la colère et la revanche envers nous… et ainsi de suite.
C’est pourquoi Paul nous demande de suivre autre voie. Nous ne sommes pas appelés à apprendre à contrôler nos émotions lorsque nous sommes provoqués. Nous ne sommes pas invités à demeurer neutres et détachés quand nous subissons des torts. Paul nous invite à briser un cercle vicieux nourri par les conflits, les disputes et les désaccords. Il nous invite à exprimer un amour vrai et sincère même en temps difficiles. Il nous encourage à faire le bien en toutes situations. Il nous rappelle que nos comportements et nos décisions ont le pouvoir de changer les gens autour de nous.
Pour briser ce cycle sans fin de haine et de vengeance, il faut toujours une personne, un champion qui ait le courage d’aller à l’encontre de la logique de notre monde. En 1991, le régime de l’apartheid en Afrique du Sud a été renversé. Après des siècles de domination, d’exploitation et d’humiliation, plusieurs pensaient que le temps de la revanche avait sonné pour la population d’origine africaine. Cependant, le nouveau président Nelson Mandela, avec l’aide de Mgr Desmond Tutu, a organisé une commission de la vérité et de la réconciliation. L’objectif recherché était assez radical. Les auteurs de crimes et d’atrocités de toutes parts ont été invités à effectuer des confessions publiques en échange d’une amnistie pleine et entière. Le pari était que la réconciliation entre les pires ennemis doit passer par l’exposition de la vérité au grand jour. Vingt-cinq ans plus tard, nous ne pouvons pas affirmer que tous les problèmes systémiques de l’Afrique du Sud sont réglés, mais des millions de vies ont surement été épargnées par ces efforts de ne pas rendre le mal par le mal, par la volonté de briser le cercle vicieux de la violence.
Encore une fois, les enseignements de la bible qui nous sont offerts ce soir semblent contrintuitifs. Honnêtement, je ne sais pas si je serais capable de pardonner facilement si j’étais la victime d’actes horribles. J’espère que oui. J’espère aussi que les personnes que j’ai lésées au cours de vie soient aussi capables de le faire. J’espère que plusieurs d’entre nous, même ceux et celles qui ne sont pas de grands fans de Paul, soient inspirés par ses mots, choisissent une autre voie et deviennent les champions dont notre monde a besoin. Amen.