Sermon – Jean 14 : 1-14 (7 mai 2023)
Jean 14 : 1-14
On dit parfois que le voyage ne sert pas tant à se divertir, qu’à changer le mal de place. Je vous avoue que je n’ai pas tant voyagé sinon un « simple » déménagement de Québec à Montréal. Quel changement d’air, surtout quand on provient à la base d’une bourgade regroupée autour d’un clocher. Une ville ou village tissé bien serré. Les habitués de l’Église Sainte-Claire savent que j’ai été – et suis encore parfois – une personne fidèle à ses habitudes. Trop fidèle, je dirais même. Fidèle coûte que coûte. Cependant, j’en suis venu à prendre quelques risques dans ma vie de tous les jours…
C’est pour dire que j’ai beaucoup hésité à aborder ces deux textes-là ce soir que nous avons lu. Deux textes avec lesquels j’ai longtemps lutté, deux textes avec lesquels j’ai longtemps été mal à l’aise, et ce, pour des raisons d’interprétations historiques.
Je ne sais pas pour vous, mais on m’a parfois cassé les oreilles avec le fameux verset : « Je suis le chemin, la Vérité et la Vie ». Peut-être vous aussi, on vous a éduqué religieusement à considérer Jésus comme la seule option possible pour être heureux. Combien de fois avons-nous entendu le hashtag : « #Jésussauve, #Jésusc’estDieu. Il te demande de faire ce qu’il désire. #Jésusdittoujoursvrai ». « #Tudois croire en Jésus, car c’est LE moyen pour atteindre le Ciel ». Ce n’est-tu pas dérangeant tout ça, non ? Ces interprétations avec lesquels on a parfois gavé les gens sont intimement liées à une formule théologique que vous avez déjà entendue : « Hors de l’Église, point de salut ! »
Et là, c’est très important mes frères et sœurs : je ne suis pas en train sous-entendre que Jésus est faux ou que c’est un nobody qui dit n’importe quoi. S’il affirme qu’il est – et je cite – « la porte des brebis » et qu’il se considère comme « le Chemin, la Vérité et la Vie », alors il doit bien savoir de quoi il parle. Il doit bien y avoir quelque chose à comprendre, sinon à sauver de ces deux histoires-là !
J’aimerais d’abord attirer votre attention sur quelque chose qui m’échappait jusqu’ici dans les textes que nous avons lus. En les mettant côte à côte cette semaine, je me suis étonné de constater tout le mouvement, toute la mouvance qu’il y a dans les deux lectures. Notez, déjà, le vocabulaire employé par Jésus : passer par la porte, traverser, être appelé à venir, suivre la voix, entrer dans, sortir par, chercher le pâturage, la verdure… Jésus se considère comme berger et comme tout berger il est responsable de ses brebis. Et des brebis, vous vous en doutez, ce ne sont pas des objets inanimés, mais des créatures vivantes qui vivent dans un monde en constant mouvement. Voyez comment les brebis entrent par la porte et en ressortent librement pour se nourrir, pour aller au vert pâturage. Voyez comment, plus loin dans l’Évangile selon Jean, Jésus se compare à un chemin qui, sans cesse, est composé d’aller-retour. Il va s’en dire que, même pour Jésus, la vie, l’existence et l’Évangile sont comparables à un voyage.
Bien sûr, qui parle de chemin serait tenté de parler aussi d’objectifs, de lieux où l’on veut se rendre. Si l’on manque de lait et qu’on prend la route en voiture… c’est pas pour aller chez aux Chutes Montmorency, mais fort probablement à l’épicerie. Néanmoins, Jésus complique un peu les choses, car jamais il ne parle d’objectif extrêmement précis sinon « d’avoir la vie en abondance ». Dans la parabole de la porte des brebis, Jésus évoque rarement l’existence d’un enclos… et dit encore moins que c’est dans cet enclos-là qu’il faut rester et faire sa vie. Je le redis : les brebis vont et viennent. De manière similaire, dans la seconde lecture, Jésus parle de son objectif de voyage en des termes assez sibyllins. « Dans la maison de mon Père il y a de nombreuses demeures ». Quelle expression étrange. Faut-il y voir une sorte de bâtisse, un château comme on se le représente parfois ? Une Église bien compartimentée, parfaitement ordonnée ? Hiérarchisée ? Pourtant, l’expression elle-même laisse entendre un lieu difficile à définir. « Dans la maison de mon père il y a de nombreuses demeures »… Si on la prend tel qu’elle, la parole de Jésus laisserait entendre des maisons dans une maison… Une sorte jeu de poupée russe… une terre qui contient plusieurs espaces contenues dans un monde. Il y a quelque chose de profondément intime et mystérieux, ici. Le lieu dont Jésus parle est un lieu tout-autre qui ne se laisse pas définir facilement, sinon par le sentiment d’union que nous pouvons avoir avec le divin. C’est le chemin du tout-autre, mais aussi du tout-familier. Ce qui sort de l’ordinaire, mais qui nous parle aussi au plus profond de notre cœur. Même ailleurs, même au Japon, nous restons dans la demeure de la Création. Dans toute sa diversité, toute sa ressemblance.
J’aimerais attirer votre attention sur un autre détail. Parlons des voleurs et des brigands qui entrent ailleurs que par la porte des brebis… Et je dis bien « entrent » parce que, malheureusement, à en croire Jésus, ils sont peut-être déjà là. À même l’enclos, le loup est présent. Cette affirmation très forte n’est pas sans rappeler la tentation de Jésus au désert. Souvenez-vous du Diable qui, l’incitant à se jeter en bas du temple, lui a sorti plein de beaux versets de la Bible. « Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Rien à craindre, mon Jésus. Tu es dans le lieu saint, tu es dans l’enclos du Seigneur. Le roc immobile, indestructible ! Que pourrait-il donc t’arriver ? Le Diable – et j’ose dire les brigands aussi – sont d’excellents théologiens qui aiment à dire : « C’est ça la vérité, maintenant, on s’y conforme pour la vie éternelle. » Et vous vous souvenez de ce que Jésus a répondu ? « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Jésus refuse une sécurité illusoire, refuse de se limiter au petit enclos tout douillet des grands systèmes religieux. Quand il se compare à une porte, à un chemin, Jésus, quelque part, nous incite à ne pas tomber dans le piège de croire que tout est figé, clair et limpide. On rentre par une porte, mais on en sort aussi pour admirer l’éclat du jour. On prend un chemin avec une idée en tête, mais on peut aussi se laisser étonner par l’imprévu et s’y arrêter. Tout cela fait partie de Dieu. Dans la joie comme dans l’épreuve, les jours de soleil comme les jours de pluie, Dieu est avec nous. Tout-autre, mais aussi tout familier.
Et c’est d’ailleurs une bonne nouvelle. Non seulement Jésus nous invite à sortir des construits tout fait et des pensées qui prétendent saisir qui il est, mais il nous met aussi en route. En questionnement. La liberté et la recherche sont des dons précieux, car c’est dans le mouvement que l’on résiste à la tentation du mal, la tentation de s’enfermer dans des habitudes toutes faites. Le voyage qu’est la vie chrétienne est un paradoxe constant, presque contradictoire. Lorsque Jésus dit qu’il fait un avec le Père, il a tout-de-même ce désir d’aller vers lui. Ce qui nous est connaissable, curieusement, nous échappe au même moment.
C’est par amour de ce paradoxe que, peu importe nos parcours spirituels respectifs, je nous souhaite un bon voyage. Je vous souhaite de voyager sur un chemin peu commun. Un chemin avec des allers-retours, des points d’arrêts, des pâturages verts et d’autres plus secs. Un chemin avec des routes alternatives, interreliées… des embranchements, des surprises… des doutes, parfois. Une vie, une mort. La vie après la mort. Quelle belle analogie de la grâce de Dieu, ce chemin qui nous mets en mouvement. Gratuite, sans attente. Une grâce loin de la performance et qui invite à grandir, à nous réformer, à aimer librement… sans entrave, sans attente. Comme je suis, comme tu es, comme nous sommes.
Malgré ce qu’on a souvent dit de ces passages, la porte et ce chemin que propose Jésus sont véritablement des ouvertures à la vie et à l’étonnement. Et c’est, justement, dans ce va-et-vient continuel que nous pouvons découvrir le tout-autre qui est aussi tout-familier et ainsi donner un sens à sa vie.
Amen