Sermon – Luc 13: 31-35 (13 mars 2022)

J’ai découvert l’auteur Gabriel Garcia Marquez au Cégep par la lecture de ‘Chronique d’une mort annoncée’.  Dans ce court roman, l’un des personnages au centre de l’intrigue, Santiago Nasar, est assassiné à la fin du premier chapitre.  Le reste du livre démontre habilement que tous les habitants du village étaient au courant d’avance du plan funeste.  Certains ont même essayé d’intervenir pour éviter le drame.  Cependant, rien n’a pu changer le déroulement de l’histoire.  Un peu comme dans une tragédie grecque, Santiago Nasar n’a pas pu échapper à la fatalité de son destin.  

En ce deuxième dimanche du carême, nous retrouvons Jésus en route vers Jérusalem.  À un certain moment, des pharisiens viennent à sa rencontre.  Nous avons l’impression de très bien connaître ce groupe, car ces personnes sont souvent présentées comme les adversaires de Jésus.  Un peu partout dans les évangiles, ils tentent de le piéger ou de s’opposer à ses enseignements.  Cependant, ces pharisiens ne semblent pas avoir de mauvaises intentions.  Ils viennent plutôt avertir Jésus d’un danger imminent contre sa personne.  Si nous pouvons être surpris par ce geste, nous devons nous souvenir qu’aucun groupe n’est complètement monolithique dans ses croyances et ses valeurs.  Nous devons nous rappeler que les êtres humains souvent plus complexes que l’on pense. 

Les pharisiens tentent de dissuader Jésus de continuer son chemin.  Ils l’invitent même à quitter le territoire.   « Pars d’ici, va-t’en ailleurs, car Hérode veut te faire mourir. »  Naturellement, le texte ne fait pas référence à Hérode le Grand qui est décédé quelque temps après la naissance de Jésus, mais à Hérode Antipas, son fils.  Pourquoi ce dernier voulait-il tuer Jésus?  L’histoire ne le dit pas.  Cependant, sa réputation ne semble pas différer de celle de certains dirigeants de nos jours qui ne tolèrent pas la contestation.  Après tout, il est celui qui a emprisonné et ordonné la décapitation de Jean le Baptiste qui le critiquait férocement.  

Le message apporté par les pharisiens est très sérieux.  La majorité d’entre nous aurait grandement hésité avant de continuer notre chemin.  Cependant, Jésus refuse de se laisser intimider en rejetant du revers de la main l’avertissement des pharisiens.  Il se permet même de leur répondre en traitant Hérode de renard.  Déjà à cette époque, les renards étaient dépeints comme des animaux rusés et sournois.  Pour Jésus, Hérode est un dirigeant motivé par la tromperie, la manipulation et l’intrigue.  

Nous pouvons nous demander pourquoi Jésus a choisi cette voie aussi dangereuse.  Était-il masochiste, suicidaire ou complètement inconscient?  Il est évident que son histoire ne pouvait pas bien se terminer en raison de sa propension à défier les autorités.  Dans notre extrait, lorsque Jésus déclare : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui mets à mort les prophètes et tues à coups de pierres ceux que Dieu t’envoie! Combien de fois ai-je désiré rassembler tes habitants auprès de moi comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, mais vous ne l’avez pas voulu! », il ne fait pas nécessairement référence à la ville ou même le peuple juif.  Il critique l’establishment qui essaie d’éradiquer les lanceurs d’alertes.  Il dénonce les institutions qui tentent de réduire au silence toutes les voix discordantes.  Il vise toutes les personnes qui ont quelque chose à perdre si les choses changent, si la voix des prophètes de notre monde est écoutée.  Avec un tel discours, rien de bon ne l’attendait au bout de sa route. 

Mais Jésus choisit de continuer d’avancer malgré tout parce qu’il a encore beaucoup de choses à accomplir.  Il doit chasser des esprits mauvais et accomplir des guérisons.  Il doit continuer à prêcher la bonne nouvelle aux pauvres, proclamer la libération aux prisonniers et annoncer l’année où le Seigneur manifestera sa faveur.  Il doit démontrer, tous les jours, que le royaume de Dieu n’est pas une abstraction appartenant à l’au-delà, mais une possibilité concrète dans notre monde.  Jésus déclare qu’il continuera à travailler aujourd’hui, demain, et jusqu’au moment où son œuvre sera achevée. 

Deux mille ans plus tard, nous sommes en droit de nous demander si le jeu en valait vraiment la chandelle.  Sans aucune surprise, Jésus a été crucifié par les autorités qu’il a défiées.  Rien n’a pu empêcher l’accomplissement de son destin funeste.  Deux mille ans plus tard, nous n’avons pas encore réussi à compléter son œuvre.  Le travail à accomplir est toujours immense.  Deux mille ans plus tard, nous nous battons toujours contre des institutions qui essaient de nous réduire au silence.  Est-ce que tout cela en vaut encore la peine?  Est-ce que notre destin est de travailler sans pouvoir espérer des résultats positifs? 

En regardant la situation de cet angle, il est facile d’être défaitiste et de perdre espoir. Cependant, nous ne devons jamais oublier qu’aujourd’hui, nous sommes tous et toutes vivants.  Aujourd’hui nous sommes entourés de personnes qui souffrent, qui ont faim ou qui sont brisées par la vie.  Et peu importe les intimidateurs, les prophètes de malheur ou les individus qui tentent de manipuler le système en leur faveur, nous pouvons continuer notre vie en suivant l’exemple de Jésus.  Peu importe ce que l’avenir nous réserve, nous sommes invités à dénoncer les abus de toutes sortes.  Peu importe nos appartenances, nous sommes appelés à résister au Mal présent un peu partout dans notre monde.  Peu importe notre destin, nous pouvons, aujourd’hui, faire une différence dans la vie de tous nos sœurs et frères humains. 

En décidant de se diriger vers Jérusalem, Jésus devait savoir très bien qu’il se dirigeait vers sa fin tragique.  Tout le monde savait que son message et son ministère menaçaient les autorités de son époque.  Mais en refusant de rebrousser chemin malgré les menaces, il a enseigné à tous ces disciples que nous sommes appelés à nous concentrer sur le travail à accomplir aujourd’hui.  Nous ne pouvons pas abandonner notre mission.  Tel est notre destin!  Amen.

Artem Beliakin, unsplash.com