Sermon – Luc 15: 11-32 (27 mars 2022)

Luc 15 : 11 – 32
 
Le théologien John Dominic Crossan affirme que les paraboles de Jésus sont des histoires provocantes qui ont été domestiquées avec le temps.  Le récit du Fils prodigue en est un excellent exemple.  Nous avons tellement entendu cette histoire que nous n’avons plus besoin de la lire ou même de l’écourter.  Nous connaissons son déroulement.  Nous connaissons sa morale.  Les pécheurs qui se repentent peuvent toujours retourner vers le Père.  Nous devons nous réjouir du retour au bercail des brebis égarées.  Il n’est pas surprenant que ce passage exclusif à l’évangile selon Luc soit utilisé pendant le temps du carême.  Quoi de mieux qu’un bon récit de contrition pour souligner notre nature pécheresse?  Cependant, comme vous devez vous en douter sûrement, cette parabole est beaucoup plus compliquée lorsque nous l’analysons un peu plus.
 
Malgré le titre qu’on lui donne habituellement, cette histoire débute avec un homme… qui avait deux fils.  L’un des deux, pour une raison ou une autre, avait le mal de vivre.  Il suffoquait sous le toit de son père.  Il croyait que les solutions à ses problèmes se trouvaient ailleurs.  Alors un jour, ce fils demande à son père de recevoir immédiatement la part de sa fortune qui doit lui revenir en héritage, comme si son père était déjà mort pour lui.  Peu de jours après, il vend tout; il quitte pour un pays éloigné et il entre dans une spirale autodestructrice.  Peut-être le fils pensait-il punir ainsi son père pour son malheur.  Qui sait? Cependant, dans toute cette mésaventure, il est celui qui souffre le plus.  Honteux, il finit par revenir au bercail, la queue entre les jambes.
 
Mais une grande fête est organisée pour souligner le retour du deuxième fils… ce qui ne plaît pas à l’aîné.  Mais là, vraiment pas du tout.  Lui qui a toujours respecté son père, lui qui est demeuré à la maison pour travailler fort, lui qui n’a jamais rien demandé, est incapable d’accepter la tournure des événements.  Toutes les années à répondre aux attentes et à suivre les règles devraient lui rapporter davantage qu’à son vaurien de frère.  Cette situation est inacceptable.  Son père fait manifestement preuve de favoritisme.  En colère, il décide de demeurer à l’extérieur de la maison, aux vues et sus de tous les invités de la fête.  Le fils aîné veut punir son père pour cet affront.
 
Et au centre de toute cette histoire de douleur, de rancœur et de jalousie, il y a un père qui laisse son jeune fils commettre ses erreurs, même si cela lui coute la moitié de ses biens.  Un homme qui pardonne à son enfant inconditionnellement devant ceux et celles qui lui disent sûrement qu’il se fait manipuler.  Il y a un père qui est obligé de sortir pendant la fête pour négocier avec son fils.  Un homme qui est prêt à s’humilier publiquement pour tenter de réunir sa famille sous un même toit.  Au centre de cette parabole, il y a un père qui ose aller à l’encontre des normes culturelles de sa société, qui met de côté son orgueil et qui abandonne sa position d’autorité pour essayer de transformer la vie de ses fils. 
 
Lorsque nous la regardons sous l’angle du père de famille, cette parabole devient nettement plus provocante pour nous tous et toutes.  Nous sommes mis au défi d’aimer d’une manière extravagante et inconditionnelle.  Nous sommes invités à aimer pas seulement notre fils préféré, mais aussi toutes les personnes qui nous ont blessés dans le passé.  Nous sommes appelés à aimer pas seulement quand tout va bien, mais lorsque ça va mal… surtout lorsque ça va mal… surtout lorsque ça nous coûte… surtout lorsque nous sommes jugés et incompris.  Cette parabole nous pousse à adopter une attitude d’accueil radical qui dépasse les célèbres : « Tout le monde est bienvenu ici… sauf ceux et celles qui… », « Le message de Jésus est pour tout le monde… à condition que… » ou « Je suis prêt à pardonner… mais… ».  Cette parabole de Jésus vise à nous faire comprendre que toute la jalousie, la rancœur, les notions de privilèges ou les déceptions dues aux comparaisons avec les autres ne font qu’empoisser nos existences.  
 
La solution offerte par ce père de cette famille dysfonctionnelle est de tenter d’imprimer sur ses fils son amour inconditionnel.  Comme je le répète souvent, si nous ne pouvons pas contrôler les choix et les émotions des autres, nous pouvons choisir d’exprimer et d’incarner cet amour extravagant sur les personnes et le monde qui nous entourent.  Nous pouvons conseiller sans imposer.  Nous pouvons inspirer sans obliger.  Nous pouvons demander sans forcer.  Nous pouvons pardonner sans rien demander en retour.  Nous avons ce pouvoir extraordinaire de surprendre les grands et plus petits acteurs de notre monde en décidant de suivre une autre voie.  Nous avons la capacité de changer notre monde avec nos mots et nos actions, une personne qui souffre à la fois.  Nous pouvons donner cet amour inconditionnel si nous le choisissons.  
 
Je crois que la parabole du Fils prodigue devrait être renommée l’histoire du père surprenant.  Pris entre un fils qui fuit et un autre qui revendique un statut spécial, un homme a seulement une réponse à offrir : son amour inconditionnel.  Hier comme aujourd’hui, il n’y a rien de plus puissant et surprenant dans notre monde.  Amen.  
Kaysha Wu, unsplash.com