Sermon – Matthieu 3 : 13 – 17 (15 janvier 2023)

Matthieu 3 : 13 – 17

Et bien… Le baptême. Le baptême, pour être honnête, n’a pas toujours été mon sujet de prédilection préféré. Il a même été une source de soupçon chez moi, une source de crainte par rapport au ministère. Je suis très sérieux : quand a été le temps de m’inscrire ou pas au Séminaire Unie, je me suis sérieusement posé la question si j’étais à l’aise d’en faire un, de baptiser quelqu’un. Au moment où j’ai lâché prise, au moment où j’ai commencé à faire mon stage à Trinity Church, savez-vous… on m’a demandé d’en faire un. Troisième semaine de stage, toi. J’étais vraiment pas à l’aise parce que je m’attendais à d’la surenchère : du genre, trois gouttes d’eau, born again to Christ. Je m’attendais à ce que les gens s’attendent à ce que l’plafond lève et que le spotlight tombe sur le gars… C’était pas tout-à-fait rationnel, convenons-en, mais c’était un peur intrinsèque que j’avais : être pogné dans quelque chose de superficiel. Vous commencez à m’connaître à l’Église Sainte-Claire. Vous savez ce qui, généralement, m’dresse les cheveux d’sur la tête. Et… vous savez quoi ? J’ai eu toute une surprise… Rien s’est passé comme j’avais anticipé. C’est une surprise qui, pour l’expliquer, demande d’abord un détour dans le Livre des Roi.

L’immersion dans l’eau en espérance d’une restauration, ce n’est pas tout-à-fait une nouveauté : elle existe déjà dans le Premier Testament. Rappelez-vous l’histoire de Naaman, un militaire syrien qui, rongé par la lèpre, va voir Élisée afin d’être guérit de sa maladie. Ce dernier l’invite, par l’entremise d’un messager à se laisser-aller à un geste tout simple en apparence, voir même trop simple pour être cru au premier abord. « Va, et lave-toi sept fois dans le Jourdain; ta chair redeviendra saine, et tu seras pur » Sa réaction peut se résumer à quatre mots : « Maudit que c’est innocent ! » Alors qu’il s’apprêtait à reprendre la route en envoyant paître Élisée, ses serviteurs vinrent le voir et lui dire : « Bennnnnn… ça te tenterait pas d’essayer ? C’est-tu parce que ça l’air facile et pas ben spectaculaire que c’est pour autant une affaire de charlatan ? » Malgré son soupçon initial, malgré l’étrangeté de la demande, Naaman suit les instructions du prophète et se baigne sept fois dans le Jourdain. Et, complètement en-dehors de ses attentes, sa peau redevient comme celle d’un nouveau-née. Vous comprendrez ici que l’eau est est un symbole fort dans la culture de Jésus ainsi que dans les textes qui l’ont nourrit dans sa propre spiritualité, dans ses propres représentations du divin.

C’est sans compter que, à l’époque même de Jésus, cette forme de rite en espérance de la guérison existait. Selon Daniel Marguera, les différentes piscines ou bains étaient des lieux privilégiés où l’on se baignait plusieurs fois en espérance d’une guérison. Plus on le faisait de fois, plus on avait de chance. Vous ressentez peut-être la p’tite forme de marchandage ici… Mais notre Jean le Baptiste, lui, apporte quelque chose de nouveau… Toujours selon Daniel Marguera, l’originalité de Jean le Baptiste, ce n’est pas tant d’inviter les gens à se baigner dans le Jourdain pour être purifier de leurs errances, mais bien plutôt d’offrir un unique baptême. Une unique baignade, à l’opposée des multiplications de Élisée ou encore la conception de Naaman où le sacré se dévoile dans l’extraordinaire et, finalement, la surenchère.

Jésus, lui, vient à la foule, il vient à Jean le Baptiste. Toutefois, ce dernier est peut-être encore prisonnier des schémas de la performance si je me fie au fait que Jean le Baptiste ne peut approuver l’idée que, lui, un simple être humain puisse baptiser le Christ. Le saveur d’Israël, celui auquel on attendait le spectacle, la révolution, les renversements, la loto nationale, les victoires militaires, les bancs de sang, la manchette du magasine Times… Au contraire, Jésus vient, il se donne à lui. Il se donne à la foule. Il effectue un rite connu de son époque non pas pour faire un show, mais pour accomplir ce qui est juste.

C’est assez intéressant puisque, comme vous le savez, on dit parfois que le baptême à été institué par Jésus. Mais pourtant, hein, Jésus n’a pas inventé le baptême. Il s’est donné à lui. Jésus se donne et, par le fait même, reprend les symboles de son époque afin de se solidariser avec ceux qui désirent renouveler leur relation à Dieu..

En tant que personne inspirée et intercesseur par qui se révèle Dieu, il accepter de partager notre condition. Il entre dans l’eau pour accomplir ce pour quoi il a été envoyé. C’est par son baptême que débute, en toute vraisemblance, son ministère.

Or, c’est dans ce symbole situé dans une culture et un temps donné que Jésus va faire expérience d’un moment décisif dans sa vie et dans son ministère. Les cieux vont s’ouvrir et une colombe va descendre vers lui.

On se représente parfois la foule – et on le voit souvent dans les films – agenouillé, en pleine extase d’un spectacle, dans une autre espèce de surenchère aux accents monarchiques. Pourtant, l’auteur nous présente cet évènement-là à travers le regard même de Jésus. Un regard humain qui, en relation avec des symboles tout humain comme l’eau, acquiert une nouvelle identité ou, du moins, une nouvelle connaissance de soi. Ce n’est pas la foule qui voit le ciel s’ouvrir, ce n’est pas à la foule que se révèle la colombe. D’ailleurs, dans l’Évangile de Marc, la voix s’adresse uniquement à Jésus. Toujours en est-il que ce dernier a eu une expérience spirituelle décisive qui le regarde d’abord, lui, et lui seul.

Peut-être avons-nous tort de juger aussi rapidement des symboles… Qu’ils soient bibliques ou non, ces symboles humains nous renvoient chacun à une expérience possible de Dieu. Peut-être que, au final, les doutes que nous pouvons avoir vis-à-vis du baptême ne sont qu’une nouvelle invitation à nous questionner et à nous renouveler. Après l’attente du spectacle chez Naaman, après la surenchère de Élisée qui lui demande de se baigner sept fois, après Jean le Baptiste qui fait du baptême unique le signe de purification, après Jésus qui, dans un geste d’une grande simplicité, voit le ciel s’ouvrir et une colombe descendre vers lui… nous, que voyons-nous ?

Que désirons-nous comme signe, comme épuration des surenchères dont nous avons parfois été témoin dans notre vie ? C’est une question auquel je vous laisse réfléchir, mais vous comprendrez que c’est à nous de définir le baptême. Si Jésus à dit que l’être humain n’est pas fait pour le sabbath, mais que le sabbath est fait pour lui, alors je crois qu’on peut dire la même chose du baptême. L’être humain est maître du baptême et non pas le contraire. C’est à lui de le définir dans sa relation à Dieu et à l’opérer à travers des symboles qui parlent, des symboles qui font sens.

Honnêtement… Quand j’ai baptisé la personne. J’ai pas senti de spectacle, j’ai pas senti le plafond s’lever, le spotlightapparaître, les morts se réveiller, le Canadien gagner… C’était un geste banal qui ne me concernait plus moi, mais seulement la personne et l’Esprit-Saint. A-t-elle vue une colombe ? J’en sais rien. Les cieux se sont-ils déchirés ? Aucune idée. Mais, pour moi, j’ai vu l’eau comme un signe tout simple, épuré, sans prétention. Le vent souffle où il veut, nous ne sommes pas maître de quoi que ce soit pour les autres… mais seulement de nous-même et notre regard.

Amen

* joergkessler1967, pixabay.com