Sermon – Ruth 1: 1-18 (24 octobre 2021)

Ruth 1: 1-18

Aujourd’hui, nous continuons d’explorer l’un des textes du Premier Testament peut-être moins connu du grand public.  Pourtant, le livre de Ruth mérite qu’on s’y attarde un peu plus.  Dans une Bible écrite par et pour des hommes, cette histoire nous offre un rare accès à la perspective de femmes d’âges différents et d’origines différentes.  Ce récit nous sort également du modèle biblique traditionnel : épreuves, pertes et justification.  Les personnages de ce livre sont davantage confrontés au deuil, à la pauvreté, au désespoir et aux défis de survivre dans un monde hostile. 

Comme dans d’autres histoires du Premier Testament, la famine occupe une place importante dans ce récit.  Une famille de Nazareth est obligée de quitter le royaume de Judée afin de survivre.  Noémi, son époux et ses deux fils doivent partir pour un temps vers les régions fertiles du pays de Moab.  Comme des millions de migrants et de réfugiés de nos jours, des conditions hors de leur contrôle les forcent à suivre cette voie.  Cette décision n’a pas dû être facile parce que les Israélites et les Moabites se détestaient profondément.  Ils se haïssaient.  Néanmoins, les membres de cette famille partent refaire leur vie en une terre étrangère.  Au début, tout va relativement bien.  Ils réussissent à s’organiser.  Les deux fils épousent des femmes du coin.  Mais le malheur frappe durement la famille. D’abord, l’époux de Noémi décède. Ensuite, c’est le tour de ces deux fils.

Dans la société patriarcale de cette époque et de cette région, les pères, les époux et les fils assuraient la sécurité et la prospérité de la famille.  Noémi, devenue veuve et orpheline de ses fils, a perdu son filet de sécurité sociale.  Elle se retrouve seule, privée de ses enfants et de son mari, dans une contrée étrangère.  Elle n’a ni pouvoir ni statut.  Ayant entendu que la situation économique s’était améliorée dans son pays d’origine, elle décide de refaire le chemin inverse malgré tous les risques que ce voyage implique.  Elle approche ses deux belles-filles et leur demande de retourner chez leur mère.  Là-bas, elles pourront recommencer leur vie dans de bien meilleures conditions.  Noémi connaît trop bien les défis d’être une migrante, une réfugiée, dans un pays étranger.  Elle ne désire pas que ses deux belles-filles vivent la même expérience en Judée.  Après beaucoup de pleurs, Orpa se résigne.  Elle embrasse sa belle-mère et la quitte.  Cependant, Ruth refuse de l’abandonner.  Tous les arguments de sa belle-mère ne changent pas sa décision.  Elle choisit de l’accompagner jusqu’au bout.  Elle adoptera la religion de sa terre d’adoption.  Ruth vivra et mourra aux côtés de Noémi.

« Là où tu iras, j’irai; là où tu t’installeras, je m’installerais.  Ton peuple sera mon peuple; ton Dieu sera mon Dieu. »  Ces belles promesses sont parfois utilisées durant un mariage.  Ces mots sont souvent de la musique aux oreilles pour ceux et celles qui défendent des politiques musclées d’assimilation des immigrants.  Mais dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, ces paroles démontrent le lien qui s’est forgé entre ces deux femmes.  La douleur, la peine et le deuil ont soudé ensemble ces deux êtres humains.  Malgré leurs différences culturelles ou religieuses, Noémi et Ruth se sont acceptées sans perdre leur identité propre.  Elles se sont adoptées l’une l’autre.  Maintenant, et pour toujours, elles décident de former une famille.  C’est ensemble qu’elles lutteront pour leur survie.  C’est ensemble qu’elles feront face à l’adversité. 

Dans notre société, nous entendons souvent parler des liens du sang qui unit une famille.  Cependant, certains individus, pour de nombreuses raisons, ont choisi de se construire une famille de choix.  Nous pouvons penser aux jeunes LGBTQ2+ qui sont rejetés par leur famille biologique et qui trouvent dans leurs communautés un nouveau lieu d’appartenance. Nous pouvons penser aux immigrants et aux réfugiés politiques parfois loin géographiquement et culturellement de leurs proches qui recherchent la présence de compatriotes. Nous pouvons penser aux gens vivants dans la rue, oubliés par l’ensemble de notre société, qui démontrent une étonnante solidarité entre elles.  Toutes ces personnes ne détestent pas nécessairement leur mère, mais les épreuves, la misère et les aléas de la vie les ont conduits sur une voie différente.  La faim, l’exclusion ou la solitude les ont forcés à faire des choix difficiles.  C’est avec des gens qui ont connu les mêmes expériences qu’ils se reconstruisent souvent une nouvelle famille.

À de nombreuses reprises, nous avons vu les gouvernements, les Églises ou monsieur et madame Tout-le-Monde débarquer avec leurs grands sabots afin de régler les problèmes de ces gens, leur expliquer la bonne façon de faire les choses ou leur demander plus d’effort pour intégrer la société normale.  Mais si nous arrêtions seulement quelques instants pour comprendre la réalité de tous les migrants, des réfugiés et des marginalisées de notre monde, nous pourrions voir les efforts et les sacrifices incroyables qu’ils et elles ont déjà effectués.  Nous pourrions découvrir une solidarité construite dans les pires moments.  Nous pourrions comprendre leur détermination à affronter les obstacles sur leurs chemins, les unes avec les autres.  Nous pourrions apprendre beaucoup de leçons de vie. 

Encore une fois, je suis triste que ce livre biblique ne soit pas plus utilisé dans nos Églises.  L’histoire de Noémi et de Ruth est l’histoire universelle de toutes les femmes migrantes, pauvres, démunies et étrangères de notre monde.  Nous y apprenons qu’au milieu de la peur, de la misère et du deuil peuvent émerger quelque chose de beau, quelque chose de puissant, quelque chose de qui donne un nouveau sens à la vie.  Amen.

*Artem Maltsev, unsplash.com