Une tempête dans nos déserts

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Jean 3 : 14-21

Si un jour vous décidez d’aller vous promener dans le désert du Sahara, peut-être aurez-vous la chance ou la malchance d’être témoin d’un phénomène naturel. À l’occasion de la période d’été se lève parfois un vent hors de l’ordinaire qu’on appelle communément le « sirocco ». Balayant le nord de l’Afrique, le vent, porté par l’excès de chaleur, ramasse les débris sablonneux sur son chemin et les pousse ensuite vers la mer, vers l’Europe.

Ce même vent dont je parle constitue un phénomène parfois dangereux. Atteignant une puissance de près de 100 kilomètres à l’heure, il affecte la vie des voyageurs qui s’y retrouvent piégés, modifiant l’humeur et le bien-être de tous. Il diminue non seulement notre champ de vision, mais cause aussi un ralentissement de nos activités quotidiennes ou, dans le pire des cas, leur arrêt complet. Imaginez-vous un instant ce genre de tempête, tous les dégâts que causerait l’accumulation de sable dans les tripes mécaniques de votre automobile, pénétrant les fissures de votre maison ou votre chambre d’hôtel. Je ne sais pas pour vous, mais ça me saperait le désir de continuer mon voyage, ça !

Attendez, attendez, ce n’est pas tout, car le sirocco se manifeste même en d’autres phénomènes encore plus perturbants. Il y en a un d’ailleurs que l’on prénomme la « pluie de sang ». Chargé d’eau et de sable, la tempête se porte jusqu’en Italie et même parfois jusqu’en Autriche, créant alors un horizon orangé. Dès lors, l’eau emmagasinée et chargée de sables retombe vers le sol, créant une pluie rouge sang. Si vous tapez « sirocco » dans Google Image, vous trouverez des clichés terrifiants où des rues entières sont inondées de cette eau « sanglante ». Terrible, n’est-ce pas ? C’est sans compter que ce « vent mauvais » risque de s’amplifier avec les changements climatiques, tristes conséquences de nos mauvais choix.

On serait tenté en toute vraisemblance d’attribuer ce phénomène au Seigneur. Il faut dire qu’une « pluie de sang » causerait un tel ébahissement à Québec qu’elle nous porterait aussitôt à réfléchir. On ferait probablement comme les Hébreux, mordus par des hordes de serpents, se jetant au sol pour implorer le pardon de Dieu. Un tel évènement serait interprété, qu’on le veuille ou non, comme un signe et une réponse à nos errances.

Nous n’avons peut-être pas de sirocco en Amérique du Nord, mais Dieu sait que, dans notre contexte actuel, nous pouvons observer des signes tout aussi apocalyptiques. Pas besoin de pluie de sang pour s’en convaincre, les déluges de nouvelles à la télévision étant tout à fait suffisants… Alors qu’on apprend que le Canada, un pays se revendiquant pacifique et réfléchie dans sa politique, a vendu et continue à vendre en cachette de l’équipement militaire à Israël, on peut se le dire : ça va pas bien pentoute ! Nous aussi, comme peuple, nous vivons dans des temps de colère. Notre marche dans le désert commence à être épuisante et… douloureuse de solitude. Certains – et je m’en confesse – ont envie de dire qu’il aurait peut-être été préférable d’être dans l’ignorance complète, si ce n’est pas pour dire l’indifférence. Le pain de l’Égypte était bien moins amer que celui de l’incertitude, n’est-ce pas ?

Ça va pas bien pentoute… non. Et ce n’est pas une nouveauté dans l’histoire de l’humanité. Il n’y a pas à en douter : Jésus, selon le témoignage de Jean, pressentait déjà l’inévitabilité de sa propre mort. Après avoir soutenu son peuple du mieux qu’il pouvait en guérissant les malades et les infirmes, notre frère perçoit un horizon sombre et ensanglanté. Sa vie – et il en est certain – sera réclamée, son sang versé par ceux-là même qu’il accompagna au cours de ses trois années de ministère.

Jésus sait qu’une tempête se profile à l’horizon. Comme ce fut le cas au désert, le peuple se retournera contre son bienfaiteur, attirant contre lui des hordes de serpents. Jésus est devant ce fait : sa crucifixion dont l’horreur peut s’apparenter à une pluie de sang sera le moment de gloire pour les puissants de ce monde qui ne tolèrent pas que leur ego soit révélé. Un moment temporaire, certes, mais un moment de gloire quand même ! Sachant que le populisme gagne du terrain partout en Occident, que des frères et des sœurs se réclamant de Jésus méconnaissent les fondements de l’Évangile, nous ne sommes pas dupes de la tempête qui nous attend. Une tempête qui est déjà peut-être présente, obscurcissant notre champ de vision, notre espérance. Dans l’inconnu, dans l’incertitude, nous prenons parfois peur. Le moteur de notre espérance peine à démarrer, étouffé par le sable qui s’accumula. Nous doutons de nos chemins et, même, peut-être de manière inconsciente, des promesses qui nous ont pourtant été faites par Dieu. Ne sommes-nous pas conscients de cet état de fait lorsque, dans nos églises traditionnelles, nous tenons à nous rappeler la grâce de Dieu ainsi que l’assurance de son pardon ?

Tout aussi paradoxale, l’arrivée du sirocco a beau être un phénomène aux airs apocalyptiques pour les uns, il constitue aussi pour les autres un signe inattendu de la grâce. Lorsque se lève le vent et que la tempête soulève les eaux, il emporte entre autres avec lui des bancs de poissons délicieux, accordant aux communautés dévastée l’occasion d’une pêche miraculeuse. En réponse à nos iniquités que nous confessons le dimanche, nos désespérances et nos soucis que nous remettons entre les mains de Dieu, celui-ci nous enverra un signe de sa grâce. Il opérera une subversion, un renversement des tables de valeurs. À ce moment-là, un serpent – élevé dans la lumière de Dieu – pourra désormais guérir le peuple. Une croix élevée, signe de mort et d’échec, constituera désormais un signe de victoire et de vie éternelle. L’obscurité de nos jours laissera place aux rayons du soleil, comme la nuit annonce déjà le jour.

Bien sûr, je n’ai pas de boule de cristal devant moi pour vous dire comment le renouveau s’opérera. J’aimerais bien, mais je ne peux pas. Bien que le « quand » et le « comment » soient aussi des incertitudes, la foi, quant à elle, nous fait entrer dans une actualité, un moment présent où la grâce se fait agissante dans nos vies.

Vous et moi sommes des pèlerins sortis d’Égypte, marchant dans le désert. Bien que nous pouvons regarder à l’arrière de temps à autre et être épris de crainte par rapport à l’inconnu, j’ai l’intime conviction ce soir qu’une lumière va poindre à l’horizon. Un vent nouveau soufflera sur nous. Les tempêtes de sable qui nous balaient et obstruent notre espérance tomberont tout doucement, le Seigneur faisant d’elles des brises légères. Non ne sommes pas au bout du rouleau, face à un cul-de-sac inévitable. Que nous importe l’obscurité… Il y a la grâce, continuellement proclamée pour moi, pour vous, pour nous qui oublions parfois que nous sommes aimés, désirés et pardonnés. Courage à nous tous qui, à travers nos pérégrinations, cherchons sans cesse Dieu, et ce, malgré nos tempêtes personnelles et sociétales.

Amen